La lettre d’invitation, signée au marqueur noir « Donald », au-dessus du paraphe compact et tout en pointes de Trump, est plus qu’amicale. Elle est fraternelle. La missive a fait la fierté de son destinataire, le président du Salvador, Nayib Bukele, qui s’est empressé de la publier sur son compte X. Les leaders du pays le plus peuplé d’Amérique du Nord et du plus petit d’Amérique centrale se rencontreront à la Maison-Blanche, le 14 avril, pour une « visite de travail ». Une manière pour le président américain, qui n’a pas de mots assez élogieux pour décrire son homologue salvadorien (« Un modèle pour tous ceux qui cherchent à travailler avec les États-Unis »), de récompenser son alter ego des tropiques. Les deux hommes aiment l’autorité, l’ordre, les réseaux sociaux, les cryptomonnaies, les provocations. Et surtout, ils s’aiment beaucoup. D’une amitié démonstrative. Car Bukele, champion de la lutte contre le crime organisé, est devenu l’hôte prévenant des criminels expulsés par l’Amérique.
Pour une poignée de dollars, le président salvadorien a ouvert ses méga-prisons aux membres du gang vénézuélien Tren de Aragua et de la Mara Salvatrucha (MS-13), une organisation criminelle transnationale qui trouve son origine chez les immigrés salvadoriens arrivés aux USA dans les années 1970. Deux mafias ultraviolentes vivant de l’argent de la drogue et du trafic humain, spécialisées dans les crimes les plus barbares : décapitation, cannibalisme, viol de mineurs, incendie de bus, rapt… Des exactions souvent filmées et diffusées sur Internet. Mais attention, le chef d’État salvadorien ne partage pas ses geôles ultra-sécurisées par charité panaméricaine.
Il le fait surtout par intérêt économique. Depuis l’investiture de Trump, plusieurs membres – et non des moindres – de l’administration américaine se sont rendus au Salvador, chéquier en poche. Marco Rubio y a effectué son deuxième déplacement comme secrétaire d’État en février. Accueilli par le couple Bukele, ravi de présenter son bébé au nouveau chef de la diplomatie, avant d’aller parler affaires d’homme à homme lors d’une promenade sur les rives du lac de Coatepeque. Une discussion virile qui a débouché sur un accord financier simple : six millions de dollars pour recevoir pendant un an des membres de gangs expulsés par les États-Unis et dont le Venezuela ne veut pas.
« Une faible redevance pour les États-Unis, mais une somme significative pour nous », selon les mots de Bukele, qui a qualifié cette offre de service d’« externalisation carcérale ». Le deal, renouvelable, permettra de financer les infrastructures pénitentiaires du pays, comme le Centre de confinement du terrorisme (surnommé Cecot, son acronyme en espagnol), cette « méga-prison » gardée par des centaines de vigiles et qui concrétise la politique menée contre le crime en bande organisée par Bukele. Mi-mars, 238 membres de Tren de Aragua et 23 autres de MS-13, souvent d’origine vénézuélienne, sont arrivés par un avion charter américain sur le sol salvadorien, avant de prendre la direction du Cecot, à 75 kilomètres au sud-est de la capitale Salvador.
Dans l’enfer d’une méga-prison
Le lieu, d’une capacité d’accueil de 40 000 détenus et d’une superficie de 160 hectares, est la plus grande prison des Amériques et la deuxième du monde après celle de Marmara, en Turquie. Certains médias évoquent même la présence de 100 000 détenus. En cadeau de bienvenue, Bukele a posté sur X des photos des arrivants, tête baissée, entourés de policiers et de militaires sur le tarmac de l’aéroport.
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Le Cecot, qui donne des frissons d’horreur à Amnesty International, a été inauguré en 2023. Il est le symbole de la présidence de Bukele, entamée en 2019, qui avait fait de la tolérance zéro et de la lutte contre la corruption ses thèmes de campagne dans un pays ravagé par les bains de sang. Chaque cellule peut contenir 80 détenus qui s’entassent sur des lits superposés et ne disposent que de deux toilettes et d’un lavabo. Les prisonniers, vêtus d’un short blanc, restent torse nu. Alcatraz, à côté, aurait des allures de mini-Disneyland. Le rêve de Trump !
6 millions de dollars pour recevoir ces criminels
Le 27 mars dernier, une autre vedette de l’administration américaine est venue visiter les installations, avec force mise en scène. Kristi Noem, la secrétaire à la Sécurité intérieure, est passée au Cecot pour y filmer un message destiné aux membres des gangs tentés de gagner les États-Unis ou d’y demeurer. Casquette vissée sur sa longue chevelure noire, elle se tenait devant les grilles d’une cellule dans laquelle des dizaines d’individus tatoués l’écoutaient sagement comme s’il s’agissait d’une surveillante en chef. L’ancienne gouverneure du Dakota du Sud, connue pour être une femme à poigne, lançait : « Ne venez pas dans notre pays illégalement. Vous serez expulsés et vous serez poursuivis. Sachez que cette installation est l’un des outils de notre arsenal, que nous utiliserons si vous commettez des crimes contre le peuple américain. » Des associations des droits de l’homme y ont vu un soutien éhonté à ce qu’elles qualifient de « régime autoritaire » ou « hybride ».
Avec sa dégaine de jeune homme branché (il aime porter ses casquettes à l’envers et on le voit rarement en costume), Bukele, surnommé parfois le « dictateur cool », n’est toutefois pas une sorte de clone décontracté de Pinochet. Sa lutte implacable contre les gangs, ses méthodes inflexibles et parfois, il est vrai, brutales, l’ont rendu extrêmement populaire. À 43 ans, Bukele est ainsi l’un des chefs d’État les plus appréciés au monde avec des taux de satisfaction oscillant entre 75 et 90 %. Charismatique, pragmatique, ce fils d’un homme d’affaires palestinien originaire de Bethléem (d’abord chrétien puis converti à l’islam) a même été réélu en 2024 avec le score écrasant de 84 % des voix.
Le Salvador est désormais l’un des pays les plus sûrs du monde
Ses recettes musclées ont transfiguré ce pays longtemps considéré comme l’un des plus dangereux au monde. Depuis mars 2022, Bukele a instauré un régime d’exception en réponse à une vague d’assassinats attribués aux organisations mafieuses Mara Salvatrucha et la Mara 18, ayant causé la mort de 88 personnes en deux jours. Ces mesures de sécurité drastiques, comprenant un déploiement massif de soldats dans les rues, l’encerclement entier de villes ou de quartiers soupçonnés d’abriter des membres de gangs, ont permis l’arrestation de plus de 75 000 personnes soupçonnées d’appartenir à des bandes criminelles. Avec de vraies entorses aux droits de la défense : les avocats ne sont pas toujours les bienvenus. Une véritable karcherisation du pays. Sous sa présidence, le taux d’homicides au Salvador a connu une diminution spectaculaire. En 2015, le pays enregistrait 106 homicides pour 100 000 habitants. Ce chiffre est tombé à 2,4 en 2023 et à 1,9 en 2024 – moins que la France ! Le Salvador est désormais l’un des pays les plus sûrs au monde.
Le tourisme explose
Mieux, cette petite République, d’un peu plus de six millions d’habitants, vit un boom touristique sans précédent, devenant une sorte de havre de paix ensoleillé. Ses visiteurs viennent y déguster des pupusas, ces galettes de maïs farcies typiques du Salvador, et apprécient ses paysages côtiers sur le Pacifique ainsi que la tranquillité de la vie urbaine ! En parallèle, les investissements étrangers ont augmenté de 344 % en 2023, atteignant 760 millions de dollars !
Trump accueille donc davantage qu’un partenaire commercial. Le président américain, qui ne nourrit d’admiration que pour les politiques obtenant des résultats, reçoit un spécialiste dont il approuve non seulement les procédés mais dont il veut s’inspirer. En attendant d’avoir ses « méga-prisons », Trump, qui ne se fait guère d’illusions sur la transposition d’un tel dispositif aux États-Unis, voudrait étendre ces séjours carcéraux au Salvador aux criminels américains. Une forme d’exportation qui, cette fois, sera exemptée de droits de douane.
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