Quand c’est flou, il y a un loup. Le député Horizons Loïc Kervran a beau retourner le problème dans tous les sens, il ne s’explique pas le possible transfert de la gestion de la plateforme Place, qui centralise les appels d’offres de l’État, d’une entreprise française au groupe canadien CGI. Depuis plusieurs mois, le vice-président de la commission de la Défense à l’Assemblée nationale alerte sur les risques que fait peser une telle opération sur la souveraineté et la sécurité nationale.
Avec une trentaine de députés, il s’en ouvre dans une lettre adressée à l’ancien ministre de l’Économie Antoine Armand en octobre dernier. « Nous lui rappelons que transitent des informations sensibles sur cette plateforme, notamment dans le domaine de la défense », explique Loïc Kervran. Au passage, le député s’étonne que le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale n’ait pas été consulté.
L’alerte semble avoir été entendue. Initialement prévu pour décembre 2024, le passage de Place sous pavillon nord-américain est finalement repoussé de six mois. De quoi offrir un peu d’oxygène à Atexo, la PME française qui pilote la plateforme depuis 2008. Son patron, Laurent Malhomme, ne désespère pas que le gouvernement revienne sur cette décision. Lui aussi insiste sur le caractère sensible des données présentes sur cette plateforme. Notamment les références de certaines entreprises, leurs lieux de production, leurs savoir- faire, leur coût ou encore les études de conception de certains équipements militaires. « Confier cette mine d’informations à un opérateur étranger expose à un risque d’intelligence économique. Cette décision est dangereuse et irrationnelle », pointe le chef d’entreprise.
Autre motif d’incompréhension : le fait que pour la première fois depuis le lancement de Place en 2005, le choix du nouveau prestataire n’a pas donné lieu à un appel d’offres. « À l’heure où l’État dit vouloir faciliter l’accès des PME françaises à des appels d’offres, il confie d’autorité la commande à un groupe nord américain », déplore Laurent Malhomme. Pour quelles raisons ? Mystère. Contacté par le JDD, Bercy n’a pas donné suite. Reçu en février par le cabinet de la ministre chargée des Comptes publics Amélie de Montchalin, le patron d’Atexo a eu le sentiment d’être « écouté », sans toutefois obtenir de réponses à ses questions. Loïc Kervran sera-t-il plus efficace ? Le député du Cher doit s’entretenir avec la ministre dans les prochains jours. En attendant, il s’active.
Une source ministérielle avance un argument basiquement pécuniaire : le coût de la préférence nationale
Dans un amendement déposé vendredi à l’Assemblée, il propose de supprimer l’article 4 du projet de loi de simplification qui impose aux personnes publiques, hors collectivités territoriales, de recourir à Place pour leur contrat de commande publique. « Il est impensable d’élargir l’usage d’une plateforme qui risque de tomber dans les mains d’un opérateur étranger », fait valoir l’élu.
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En poste lorsque cette décision de transfert a été actée, au printemps dernier, une source ministérielle avance un argument basiquement pécuniaire : le coût de la préférence nationale. « Dès lors qu’il ne s’agit pas d’un produit hautement stratégique, l’État regarde le prix de ce qui se fait ailleurs. Surtout dans un contexte de restriction budgétaire… » Des arguments inacceptables pour le patron éconduit : « Outre que circulent des données extrêmement sensibles sur cette plateforme, un appel d’offres aurait permis justement de choisir la meilleure entreprise, au meilleur prix. » Laurent Malhomme et Loïc Kervran ont deux mois pour rallier les forces politiques à leur cause et convaincre le gouvernement de reculer.
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