Cinquante nuances de gêne. Depuis le début de la semaine, plusieurs personnalités expriment plus ou moins de réserves sur l’exécution provisoire qui écarterait une candidate à la présidentielle créditée de 37 % des voix dans le dernier sondage Ifop/JDD. À commencer par le Premier ministre François Bayrou, qui confie son « trouble » dès l’annonce du jugement, et suggère une « réflexion » sur la notion d’exécution provisoire.
À la gauche de la gauche, Jean-Luc Mélenchon fait savoir son opposition à l’inéligibilité avec exécution immédiate avant l’appel, tout en rappelant la responsabilité de Marine Le Pen dans son propre malheur, elle qui a toujours plaidé pour un durcissement des peines. À droite, Laurent Wauquiez fut le premier à déplorer, dans la foulée du verdict, une décision qui « fragilise la démocratie ». Pour l’entourage d’Éric Ciotti, ces réactions de tous bords sont le reflet d’une préoccupation partagée par un certain nombre de parlementaires. Jusqu’à constituer une majorité ? Pas si sûr.
Socialistes et écologistes rejettent une loi « téléguidée » pour une opération de sauvetage de Marine Le Pen. Sur les autres bancs de l’Assemblée, les prises de position sont moins claires. Officiellement, le groupe Ensemble pour la République (EPR) est contre. « Le seul débat que nous devrions avoir, c’est sur la démission de Marine Le Pen », tonne le député Pierre Cazeneuve devant les caméras. La punchline de Cazeneuve est reprise en boucle dans les groupes WhatsApp d’EPR. Gabriel Attal, pas vraiment chagriné par les déboires de Le Pen, appelle de son côté à « respecter les décisions qui sont prises par la justice, sans chercher à les relativiser, en atténuer la portée ou en détourner les fondements ».
Autre argument des « contre » du socle commun, le message désastreux envoyé à l’opinion : « Les électeurs vont légitimement penser que le Parlement organise son auto-amnistie », redoute un député LR, pourtant hostile au principe de l’exécution provisoire. « Si cette mesure est si injuste que cela, que ne l’a-t-on pas modifiée plus tôt ? » s’agace un cadre Horizons. Et quand le numéro 2 du parti, Christophe Béchu, préconise dans Le Parisien de réviser la loi sur l’exécution provisoire, le même député Horizons le reprend : « Je ne suis pas sûr qu’une proposition portée par Éric Ciotti et télécommandée par Marine Le Pen soit le véhicule législatif idoine… » Des réserves partagées par de nombreux LR. « Personne n’est dupe de la manœuvre, il s’agit avant tout de sauver le soldat Marine », estime une figure des Républicains.
EPR et LR unis dans un vote contre la proposition de loi Ciotti ? Le tableau est à nuancer. Derrière ce front uni, certains, tentés par l’abstention, attendent de lire le texte de loi avant de se prononcer. Enfin au MoDem, si le « trouble » de François Bayrou est perçu comme une injonction à voter pour la fin de l’exécution provisoire, s’assurant au passage la mansuétude du RN sur la censure, un vent de rébellion gagne les troupes. Le groupe est divisé entre les pour et les contre. Les seuls qui n’en disent rien, une fois n’est pas coutume, sont les Insoumis. D’ordinaire si prompts à prendre des positions tranchées haut et fort… Ils se planquent et affectent un silence embarrassé.
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Pour tenter de désamorcer les critiques, notamment sur l’opération sauvetage de Marine Le Pen, l’entourage d’Éric Ciotti fait valoir que ces mesures d’inéligibilité exécutées provisoirement frappent des centaines d’élus chaque année. En 2023, 639 personnes se sont ainsi retrouvées dans la même situation que la présidentiable. Avec parfois des « injustices criantes », selon Alexandre Dupalais, avocat et candidat UDR aux législatives. Il cite en exemple le cas de Brigitte Barèges, députée UDR du Tarn-et-Garonne et ancienne maire de Montauban, condamnée avec exécution provisoire en 2021, avant d’être relaxée quelques mois plus tard. « La condamnation de Marine Le Pen jette une lumière crue sur un problème plus vaste, et c’est heureux », poursuit Alexandre Dupalais.
Quand bien même le texte serait voté par l’Assemblée, viendra ensuite l’épreuve du Sénat, où le RN et les ciottistes sont ultraminoritaires…
À ce stade, Éric Ciotti veut croire à une voie de passage à l’Assemblée, misant sur l’abstention d’une partie de l’hémicycle, de la droite, du bloc central et de LFI, frileux à l’idée de voter un texte porté par un allié de Le Pen, tout en étant hostiles au principe de l’exécution provisoire.
Mais avant de passer au vote, il faut d’abord rédiger la loi : un premier obstacle qui n’est pas mince. « Interdire l’exécution provisoire en cas d’inéligibilité peut constituer une rupture d’égalité par rapport aux autres délits », met en garde un ministre. « Toutes les infractions ne se valent pas, répond Me Dupalais. Rien ne s’oppose au dépôt d’une proposition de loi visant l’abrogation de l’exécution provisoire dans le cas particulier des peines d’inéligibilité. » À la condition qu’elle n’apparaisse pas comme un texte sur mesure, au seul bénéfice de Marine Le Pen. Auquel cas, le Conseil constitutionnel pourrait la censurer.
Et quand bien même le texte serait bordé, puis voté par l’Assemblée, viendra ensuite l’épreuve du Sénat, où le RN et les ciottistes sont ultraminoritaires…
C’est la raison pour laquelle les troupes de Marine Le Pen ne se font guère d’illusions sur les chances de succès. Sans compter que, hors les murs du Parlement, il n’y a pas dans l’opinion de soutien populaire. Selon un sondage Ifop publié vendredi, deux tiers des Français (64 %) s’opposent à une modification de la loi pour supprimer l’exécution provisoire.
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