« Nous sommes agiles, mais fragiles ! » Sur la scène, devant un parterre d’entrepreneurs adhérents à CroissancePlus, sa présidente, Audrey Louail, ouvre les trois jours de congrès avec optimisme, se refusant à céder à l’inquiétude qui secoue le monde économique et celui des PME, en particulier depuis plusieurs mois. L’association regroupe 480 PME et ETI dites « de croissance », dynamiques et plutôt florissantes. Normalement. « Pour la première fois, nous avons enregistré un ralentissement ou une stagnation de nos activités, pour 40 % d’entre nous », concède Audrey Louail.
Cette mauvaise nouvelle aggrave le mouvement déjà observé au dernier trimestre 2024, au cours duquel 42,86 % des entreprises témoignaient déjà d’une dégradation. Et si les entrepreneurs présents refusent de se plaindre – « Ce n’est pas la mentalité d’un entrepreneur, il met sinon la clef sous la porte » –, les alertes se multiplient. Le cas de Claude Tempe, vice-président de Freelance.com (un milliard de chiffre d’affaires), l’illustre bien. Son activité, qui consiste à mettre en relation des travailleurs indépendants avec des entreprises de services en manque de main-d’œuvre, surfait sur une croissance à deux chiffres jusqu’à ces deux dernières années. Elle se traîne depuis autour des 2 à 5 % de progression annuelle.
S’adapter pour chercher des leviers de croissance
À ses côtés, un dirigeant d’une entreprise de relations presse subit plus violemment l’atonie ambiante ; son chiffre d’affaires est en recul de 20 % par rapport à l’année dernière. Pour renouveler ses contrats, à missions équivalentes, il a divisé ses prix par deux et doit, de surcroît, gérer les retards de paiement de plus en plus fréquents de ses clients, ce qui fragilise sa trésorerie.
Nouvelles taxes douanières
« Les patrons de PME doivent faire face, depuis le Covid, à des crises tous les six mois », relate Laurent Vronski, directeur général d’Ervor, qui produit des compresseurs d’air à Argenteuil et emploie 50 personnes. Confinement, hausse du prix des matières premières, carnet de commandes volatil, instabilité fiscale, difficultés de recrutement… Son activité n’est pas en danger, mais repose à hauteur de 90 % sur les exportations, dont un quart vers les États-Unis. Il s’inquiète des répercussions des frais de douane décrétés par Donald Trump.
Qui paiera in fine les surtaxes ? Le distributeur ? Le client final ? Lui-même ? Il craint particulièrement la stigmatisation dont pourraient souffrir les produits français et européens : « Avec cette vision “America first”, Trump risque de sanctionner tout ce qui n’est pas produit sur son sol… » Le coup serait dur, « mais pas fatal », assure l’entrepreneur qui s’efforce de garder la tête froide face à la « grande anxiété » de ses salariés. Il s’en remet au philosophe Alain pour surmonter ce qu’il espère être une mauvaise passe : « Le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté. »
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S’adapter pour chercher des leviers de croissance en terrain hostile. Les patrons n’ont pas d’autre choix, comme Pascal Lenchant, à la tête de Neoditel, un gestionnaire de téléphonie d’entreprise. Cette année, son budget formation a fondu. Lui qui est fier d’avoir toujours gardé ses effectifs en France, « quand tant d’autres délocalisent à Madagascar ou à l’île Maurice », aimerait être soutenu par le gouvernement. Il attend avec impatience l’application de la loi de simplification, qui allègerait considérablement les charges administratives. « Cela ne coûterait rien à l’État, soupire-t-il, à bout de nerfs.Nous ne sommes pas des vaches à lait que l’on trait ! » Apostrophe visant le Premier ministre, François Bayrou : « Nous avons besoin d’un homme d’action. Si l’État était une entreprise, elle aurait mis la clef sous la porte depuis longtemps ! »Le patron, qui travaille notamment pour LVMH, tempête : « Lorsque le groupe est taxé de 180 millions de taxes exceptionnelles, cela rejaillit, par effet domino, sur nos propres carnets de commandes. »
Une forme d’attentisme
Au terme des échanges, la présidente de CroissancePlus relaie le sentiment de ces patrons qui sont loin d’être les plus vulnérables, mais qui tirent la croissance du pays. « Nous devons composer avec une forme d’attentisme. On ne peut pas encore parler de crise, ni de récession à proprement parler. Mais cette instabilité touche notre moral, alerte Audrey Louail. Nous avons eu dix-sept rendez-vous avec des politiques rien que le mois dernier – membres du gouvernement, députés. Pour quel résultat ? » La patience des patrons arrive à épuisement.
En chiffres
66 000 défaillances d’entreprises en 2024
68 000 défaillances potentielles en 2025 selon BPCE L’Observatoire
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