« Si vous imaginez Marine Le Pen en PLS sur son canapé, en train de caresser ses chats, c’est que vous n’avez strictement rien compris. » La confidence d’un intime de la cheffe du RN, dit tout de l’état d’esprit du clan Le Pen. Ce dimanche, place Vauban, l’état-major du Rassemblement national fait donner la contre-attaque. Après le choc de la condamnation, le RN envisageait lundi une pétition en ligne et quelques distributions de tracts sur les marchés. Jusqu’à ce que tard dans la nuit surgisse l’idée d’organiser un meeting. Surprenant réflexe pour un parti devenu, au fil des années, presque méfiant envers les démonstrations de rue. Reste à trouver le lieu. Aucune salle n’est disponible dans un temps aussi court, d’où l’idée d’une scène en plein air. Le Trocadéro ? Trop marqué par les défaites de Fillon en 2017, puis de Zemmour en 2022. Le RN opte pour la place Vauban, à deux pas des Invalides. Une esplanade calme, ouverte, familière de l’électorat du peuple de droite : c’est là que, dix ans plus tôt, défilaient les cortèges de la Manif pour tous.
L’objectif pour Marine Le Pen est simple : battre le rappel des fidèles. Alors que l’inconcevable est devenu réalité : une condamnation en première instance, synonyme – sauf miracle judiciaire – d’une éviction quasi certaine de la prochaine présidentielle. Alors il faut mobiliser, faire comprendre ce qui se joue aux électeurs. S’imposer dans la rue comme on s’impose dans les urnes. Prouver que Marine Le Pen n’est ni affaiblie, ni discutable, ni remplaçable. Montrer que son électorat reste soudé autour de sa « candidate naturelle », et qu’il n’est pas prêt à se faire voler le match à deux ans du coup d’envoi. « C’est la poursuite d’une dénonciation claire de la décision de justice et de ses conséquences politiques gravissimes », précise son entourage. Dans ce contexte, le RN joue gros. Et ne peut se permettre le moindre faux pas.
La mobilisation sera « pacifique ». Pas question de renvoyer l’image du désordre. La consigne est reprise dans les boucles internes, les éléments de langage, au moindre micro tendu. Marine Le Pen elle-même appelle ses lieutenants à la retenue dans leurs mots d’ordre mardi après-midi, lorsque survient l’annonce d’un procès en appel dans un délai rapide, ouvrant la voie à un jugement moins sévère. Finies les envolées sur les « juges rouges », la « démocratie assassinée » ou le « coup d’État judiciaire ». Jordan Bardella s’en porte garant : « Ce n’est en aucun cas un coup de force », insiste-t-il. Partisan de la stratégie de « normalisation », le président du RN n’a jamais été friand des postures trop enflammées.
Le calme et la tempérance s’imposent d’autant plus que les contempteurs du RN agitent les peurs. Mercredi, Xavier Bertrand alerte sur la menace qui vient : les « manifestations de soutien » venues de « l’internationale de l’extrême droite » l’inquiètent, dit-il. Et de convoquer une comparaison hasardeuse : « Qu’on joue dimanche un mauvais remake du Capitole », souffle-t-il. Au RN, on lève les yeux au ciel face aux grosses ficelles d’un adversaire qui garde en travers de la gorge le double veto du RN à son encontre – écarté comme Premier ministre, puis comme ministre de la Justice. L’entourage de Marine Le Pen s’indigne d’un « retournement choquant » en à peine une semaine. « On passe du statut de victime d’une justice qui élimine la favorite de la présidentielle… à celui d’organisateur d’un soulèvement factieux. »
Reste que le risque de troubles existe. Le RN le reconnaît à demi-mot. « Le seul danger, c’est que l’extrême gauche vienne foutre le bordel », grince un élu, en ciblant « comme toujours : les flics et les fachos ». Le parti, lui, espère jusqu’à 8 000 participants. C’est le chiffre qui circule en interne. Pour l’atteindre, le parti a mis les moyens : des dizaines de bus affrétés aux quatre coins du pays, un effort logistique digne d’une campagne présidentielle. Certes, le chiffre ne fait pas trembler les foules. Mais au RN, on relativise : « Ce n’est pas dans notre ADN, ni dans celui du peuple de droite, de descendre dans la rue. Ce réflexe-là, c’est celui de la gauche. » L’essentiel, disent-ils, est ailleurs.
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La présence de tous les députés RN est exigée. Il faut montrer l’unité, afficher la force, donner chair au soutien à Marine Le Pen de l’appareil
Dans les chiffres, justement. Depuis le séisme judiciaire de lundi dernier, le parti revendique une vague d’adhésions : 25 000 nouveaux membres, assure-t-on. Et une pétition de soutien à Marine Le Pen qui a déjà récolté 550 000 signatures. Reste que le pari de la mobilisation sera de toute façon évalué. Une place Vauban à moitié vide, et c’est toute la posture de résistance qui vacille. La candidature Le Pen, déjà sous pression, ne peut pas se permettre une nouvelle déconvenue.
La présence de tous les députés RN est exigée. Il faut montrer l’unité, afficher la force, donner chair au soutien à Marine Le Pen de l’appareil. C’est Louis Aliot, le maire de Perpignan, qui ouvrira le bal. Sur scène, Éric Ciotti prendra aussi la parole pour évoquer sa loi visant à supprimer l’exécution provisoire. Puis viendront les discours de Jordan Bardella et Marine Le Pen, tandem mis à l’épreuve ces derniers jours. Si chacun proclame « confiance absolue », le procès a relancé une question que le RN s’efforçait d’écarter : celle de la succession. Et avec elle, le début d’un glissement. En creux, une question s’installe, à demi-mot, dans les rangs du RN : et si ce dimanche marquait le vrai coup d’envoi de la présidentielle… sans que l’on sache encore qui, de Marine Le Pen ou de Jordan Bardella, en portera les couleurs ?
L’annonce de la Cour d’appel, qui devrait rendre sa décision avant l’été 2026, a ravivé les spéculations autour de la stratégie de défense du Rassemblement national. L’enjeu pour le parti : éviter que la condamnation prononcée en première instance ne soit confirmée en appel, puis entérinée par la Cour de cassation – à l’horizon de janvier 2027. Si l’inéligibilité de Marine Le Pen était alors prononcée, les délais rendraient sa candidature impossible, même sans exécution provisoire. Consciente de ce danger, la présidente du groupe RN à l’Assemblée n’exclut plus, selon nos informations, d’infléchir sa ligne de défense, jusqu’ici fondée sur une négation pure et simple des faits reprochés.
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