C’est un demi-soulagement pour le secteur. Dans un message diffusé sur son réseau Truth Social le 13 mars dernier, Donald Trump évoquait la création d’une taxe de 200 % sur les vins et spiritueux. S’il n’a (à ce stade) pas mis cette menace à exécution, le président américain a tout de même fait des annonces fracassantes ce 2 avril : dès la semaine prochaine, des droits de douane de 20 % s’appliqueront sur tous les produits de l’Union européenne (UE) exportés aux États-Unis.
Selon les estimations de la Confédération nationale des producteurs de vins à appellations d’origine contrôlées (CNAOC), cette taxe américaine constitue un manque à gagner de « plusieurs centaines de millions d’euros » pour la filière – soit une perte de « 25 % du total des exportations » françaises – et risque de mettre « des milliers d’exploitations viticoles et des pans entiers des territoires ruraux » en péril.
« L’an dernier, c’est environ 3,8 milliards d’euros de vins et spiritueux qui ont été exportés vers les États-Unis », poursuit l’organisation dans un communiqué, rappelant que la France est « très dépendante de ce marché » à court terme. Avant de développer, non sans amertume : « La viticulture française a déjà un genou à terre : inflation, aléas climatiques, baisse de la consommation… Le nombre de cessations d’activité est très préoccupant. »
Un constat partagé par la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France. « On peut craindre un recul d’environ 800 millions d’euros », abonde en effet la FEVS dans un communiqué. Au-delà des petits producteurs, des grands groupes comme LVMH, Pernod Ricard ou Rémy Cointreau, sont eux aussi concernés par la hausse tarifaire américaine.
Pusillanimité de l’UE
En 2018 déjà, la filière française avait dû subir le coup de la politique commerciale offensive de Donald Trump à l’occasion des négociations menées entre l’Union européenne et les États-Unis. « Ce fut une année douloureuse et agaçante pour la filière », rembobine Michel Chapoutier, producteur de vin installé à Tain-l’Hermitage (dans la vallée du Rhône), auprès du JDD.
Mais aux yeux de l’exploitant, qui dirige la maison Chapoutier aux côtés de ses enfants, les mesures américaines ne sont toutefois pas les seules à entraver le secteur. Celui-ci pointe la pusillanimité des responsables politiques français auprès de la Commission européenne, qui fut surtout préjudiciable pour la filière tricolore. « On s’est moqué de nous ! Nous étions extrêmement en colère contre le choix d’Ursula von der Leyen de privilégier l’automobile allemande au détriment du vin français »,se souvient-il encore.
D’après Michel Chapoutier, à l’époque, les importateurs de vin avaient prévu le coup. « En 2018, beaucoup avaient acheté avant que les taxes ne soient appliquées. La tendance, côté français comme côté américain, avait été de baisser le prix de vente de 10 %, quitte à grignoter sur nos marges, afin que le consommateur ne voie pas trop la différence. Malgré ça, on a vu un effondrement des ventes aux États-Unis »,explique celui qui est également président national de l’Union des maisons et marques de vin (UMVIN).
La suite après cette publicité
Chez Chapoutier, comme chez nombre d’autres producteurs et négociants de vins et de spiritueux, le marché américain, « de loin le plus rémunérateur », représentait à l’époque environ 20 % des ventes. « Il a depuis chuté aux alentours des 10 % », précise l’exploitant.« Cette année, nous étions plus confiants. Il y a eu un vrai travail de fond entre les Français et les Américains. Sauf que la Commission européenne est de nouveau intervenue, en prenant la liberté de ne pas respecter ce qui avait été convenu. On s’était mis d’accord pour sortir le Bourbon de la liste des rétorsions, de même pour les vins californiens », détaille encore le patron de la maison Chapoutier, excédé.
Vers un dialogue apaisé ?
Parmi les régions viticoles françaises, certaines sont tout particulièrement affectées : c’est le cas, notamment, de la Charente. Depuis l’automne 2024, les eaux-de-vie françaises subissent déjà de plein fouet les tensions commerciales entre la Chine et l’Union européenne dans le cadre de l’enquête antidumping – menée par Pékin sur les eaux-de-vie importées de l’UE. En France, le Cognac, l’Armagnac ou le Brandy de Xérès ont vu leur vente chuter drastiquement. La précieuse eau-de-vie charentaise a ainsi perdu, en valeur, près d’un quart de ses ventes en 2024.
Les vins de Bordeaux, fortement dépendants du marché américain, sont également très inquiets. Jean-Marie Garde, président de la FGBV témoigne : « Les États-Unis sont notre premier marché à l’exportation en volume et en valeur (près de 30 millions de bouteilles pour plus de 435 millions d’euros). L’impact commercial de cette taxe ne peut être évalué à ce stade, même si l’on constate depuis plusieurs semaines des annulations ou blocages de commandes auprès des exportateurs… »
Selon Michel Chapoutier, un dilemme se pose. « Quel est intérêt de sacrifier sa marge si dans le même temps, on sacrifie notre chiffre d’affaires ? », s’interroge le viticulteur, assurant que, cette année, la position de la filière sera « très probablement de ne pas faire d’effort sur les prix », sauf sur certains vins, « puisqu’il y aura de toute façon une baisse de volume ».
Pour le secteur, qui s’estime « otage » du conflit géopolitique, « un dialogue apaisé » (CNAOC), « ouvert et constructif » (FEVS)avec l’administration Trump s’impose. L’objectif : obtenir la baisse, si ce n’est la levée de cette rétorsion tarifaire de 20 %. « On peut s’attendre à voir cette taxe américaine réduite d’ici la fin avril », espère Michel Chapoutier. De son côté, la Commission européenne s’est dite « prête à engager un dialogue constructif avec les États-Unis, affirmant qu’un engagement continu et une approche positive constituent la meilleure voie à suivre ».
Pour la CNAOC, une chose est sûre : la filière française ne pourra pas « pallier les déficits commerciaux par une ouverture sur des marchés de substitution ». Et le son de cloche est le même à l’échelon européen. « Il n’existe aucun marché alternatif capable de compenser la perte du marché américain », insisteainsi la présidente italienne du Comité européen des entreprises du vin (CEEV), Mazia Varvaglione.
Source : Lire Plus