Le JDD. Donald Trump impose 20 % de droits de douane sur les produits européens. Emmanuel Macron dénonce une « décision brutale et infondée ». Sommes-nous entrés en guerre commerciale ?
Éric Lombard. On s’y attendait. Le président Trump ne s’en est jamais caché pendant sa campagne. Il ne manquait plus que l’annonce officielle — elle est tombée cette semaine. Ces droits de douane à 20 % sont d’abord une mauvaise nouvelle pour les Américains : ils vont provoquer aux États-Unis une hausse des prix, alourdir les charges des entreprises et faire baisser la croissance dès 2025. Mais puisque les règles du jeu sont rompues, nous sommes contraints de répondre à armes égales. Cette réponse est pilotée par la Commission européenne, en lien avec tous les États membres. Notre riposte sera ferme, mais proportionnée.
Une « riposte graduée » ? C’est l’expression à la mode…
Plutôt une riposte ciblée ! Il ne s’agit pas de taxer toutes les importations américaines – ce serait contre-productif, en pénalisant autant notre économie que la leur. Nous allons donc viser certains secteurs, de manière précise et en y associant nos filières. Cela limitera l’impact sur nos entreprises. Mais il y aura forcément des conséquences. On ne peut pas entrer dans un bras de fer commercial sans dommages des deux côtés.
Pouvez-vous préciser les leviers envisagés côté français ? Pour l’instant, cela reste flou…
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Plusieurs outils sont à notre disposition au niveau européen : réglementaires, fiscaux, douaniers. Par exemple, nous pouvons renforcer certaines exigences administratives ou encadrer l’usage des données. Sur le plan fiscal, il est possible de taxer certaines activités. Toutes ces options, le cadre européen nous y autorise et elles sont en cours de discussion – rien n’est décidé à ce stade. Comme toujours dans une négociation, il faut aussi savoir garder une part de dissuasion. Notre objectif reste clair : éviter l’escalade et ouvrir les négociations.
Est-ce la fin de la « mondialisation heureuse » ?
Soyons clairs : le libre-échange profite à tous. Il fait baisser les prix, stimule la production, favorise les exportations. Depuis 1945, l’histoire du commerce mondial, c’est celle d’une ouverture progressive, d’une baisse des barrières douanières et d’un enrichissement mutuel – quand les mêmes règles sont respectées par tous ! Ce que fait aujourd’hui Donald Trump, c’est un repli. Ce serait une erreur de s’enfermer dans cette logique.
De nombreuses filières françaises sont exposées à cette hausse des droits de douane. Quelle réponse l’État leur apporte-t-il ?
Tous les services de Bercy sont mobilisés. Dans ces temps difficiles, nous devons faire équipe avec nos entreprises. C’est pourquoi je vais réunir un « Conseil des entreprises » – une instance de dialogue régulier avec les représentants du Medef, de la CPME, de l’U2P, du Meti et de l’Afep. L’idée, c’est de structurer notre travail sur tout sujet, national ou international, ayant un impact sur notre économie. Le monde devient plus instable. Les entreprises ont besoin d’écoute, de visibilité, d’être accompagnées et de prendre part aux décisions. Ce « Conseil des entreprises » sera réuni pour la première fois à Bercy le 14 avril prochain, autour des droits de douane. Avant cela, les filières industrielles seront reçues mardi à Bercy par Marc Ferracci, le ministre de l’Industrie.
66 000 entreprises ont fait faillite en 2024 – un triste record. La décision de Donald Trump vient-elle aggraver une situation déjà fragile ?
Le budget voté en début d’année a envoyé un signal de stabilité qui permettait à l’économie de repartir. Cela s’est vu sur l’emploi et la confiance des entreprises. Mais c’est vrai : la décision de Donald Trump suscite l’inquiétude. Nous connaissons les entreprises les plus exposées, notamment celles qui réalisent plus de la moitié de leur chiffre d’affaires aux États-Unis. Nous allons les accompagner le temps d’ouvrir les discussions avec le gouvernement américain. J’ai confiance dans notre capacité à trouver un accord. Il faut donc garder notre sang-froid. Je me rends à Washington dans quinze jours, pour les réunions du FMI et de la Banque mondiale. Ce sera l’occasion d’engager le dialogue.
Concrètement, quelles pourraient être les conséquences de cette guerre commerciale pour les consommateurs français ?
Aujourd’hui, ce sont d’abord les consommateurs américains qui paient le prix des mesures de Trump. L’Europe, de son côté, prendra toutes les précautions pour que notre riposte ait le moins d’impact possible sur les consommateurs européens comme sur nos entreprises. Pour autant, si les droits de douane ne sont pas levés rapidement, nous sommes exposés comme tous les autres pays du monde à un ralentissement de l’économie. Et cela, oui, finirait par toucher les Françaises et les Français.
Le boycott des produits américains gagne du terrain en France. Faut-il y voir une forme de riposte légitime ? Appelez-vous les Français à s’y associer ?
Ces mouvements relèvent de l’initiative citoyenne. Ce n’est pas au ministre de l’Économie d’appeler au boycott. Mon rôle, c’est de mener la réponse institutionnelle, ferme, coordonnée, responsable. Ce que nous faisons, en revanche, c’est demander aux industriels français qui prévoyaient des investissements aux États-Unis de les suspendre. Nous appelons les entrepreneurs à faire preuve de patriotisme économique pour peser dans la négociation. Et je veux le dire : les chefs d’entreprise français aiment leur pays. Ils sont très attentifs à ce que notre économie reste forte et souveraine.
Vous parlez d’une réponse européenne. Mais avec des intérêts parfois divergents, l’Union est-elle capable de parler d’une seule voix ?
Oui. Le moment est grave. Nous sommes entrés dans un monde plus dur, un monde de rapports de force. Appelez-le comme vous voulez : un monde de prédateurs, ou de « carnivores et d’herbivores », pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron. Face à des puissances comme la Russie, la Chine ou désormais les États-Unis, l’Europe doit agir en bloc. L’Union européenne est une zone de paix, de droit, mais aussi une puissance économique indiscutable. Et c’est précisément la gravité de la situation qui peut nous permettre de forger une réponse unie.
Quand le porte-parole de Bruxelles recadre Paris, peut-on encore parler de souveraineté économique française ? Ou tout se décide désormais à la Commission ?
Il y a une répartition claire des rôles : la Commission européenne a les compétences commerciales, parce que notre force, dans ce domaine, c’est d’être 27. Mais la France garde la main sur des leviers essentiels comme la politique économique ou sur notre industrie de défense par exemple. La Commission est un organe collégial et elle n’agit pas seule. Le Conseil des ministres – donc les États membres – est un décisionnaire central. La Commission négocie au nom du plus grand marché du monde. C’est cela, notre levier de puissance.
Et si, paradoxalement, l’électrochoc Trump était ce qu’il fallait à l’Europe pour enfin s’affirmer ? Faudrait-il le remercier ?
N’allons pas jusque-là… Mais oui, cela va accélérer ce que nous aurions toujours dû faire. C’est un moment d’affirmation salutaire pour l’Europe. Ce qui se passe aujourd’hui rejoint l’intuition du général de Gaulle, qui prônait l’autonomie stratégique vis-à-vis des États-Unis, et l’appel du président Macron, dès 2017 à la Sorbonne, à construire une souveraineté européenne forte. C’est le bon moment pour la France, et pour l’Union européenne, de se renforcer.
Peut-on vraiment tenir l’effort de guerre avec ces contraintes budgétaires et maintenant douanières ?
Je parlerais plutôt d’un effort de paix. Renforcer la défense européenne, c’est se donner les moyens de dissuader toute agression. Nous devons l’assumer et l’intégrer pleinement à notre programmation budgétaire. Avec une meilleure organisation, nous pouvons, malgré un niveau élevé de dépenses publiques, à la fois préserver un bon système hospitalier, renforcer notre défense et baisser notre dépense publique. C’est une question de volonté et de méthode.
« Nous appelons les entrepreneurs à faire preuve de patriotisme »
La Banque de France prévoit une croissance de 0,7 % en 2025, contre 0,9 % selon les prévisions du gouvernement. Allez-vous devoir réviser vos projections ?
Oui, nous présenterons une prévision ajustée autour du 15 avril. En sachant que nous travaillons dans un contexte d’incertitude inédit. Tout dépendra de l’issue des discussions en cours : si nous n’obtenons pas la levée des droits de douane américains, il y aura un impact négatif sur la croissance – c’est évident. En revanche, si nous parvenons à un accord équilibré dans un délai raisonnable, ce sera un facteur de confiance. Pour les entrepreneurs, pour les ménages. Le taux d’épargne pourrait baisser, la consommation repartir, et nous pourrions tout à fait retrouver notre trajectoire de croissance.
Le budget 2026 est déjà qualifié de « cauchemar ». Quels efforts concrets demanderez-vous aux Français pour ramener le déficit de 5,4 % à 4,6 % ?
Il n’y aura pas de nouveaux coups de rabot généralisés. En revanche, nous poursuivrons notre trajectoire de maîtrise des dépenses, avec une mesure de régulation qui sera annoncée prochainement. Le Premier ministre précisera la méthode lors d’une réunion importante à Matignon le 15 avril, à laquelle je participerai. Ce sera l’occasion de faire un état des lieux et de rappeler notre cap : la souveraineté et l’indépendance, y compris en matière de finances publiques. C’est ce cap qui orientera l’élaboration de la loi de finances pour 2026.
« Le vrai problème c’est que notre dépense publique représente plus de la moitié (56,7 %) de la richesse produite »
Le Premier ministre François Bayrou présente cette conférence sur les finances publiques comme un moment pédagogique. Ce type d’exercice a déjà eu lieu, souvent sans effet… Est-ce encore un habillage politique ?
Non. L’objectif de cette réunion du 15 avril, c’est que tout le monde – parlementaires, élus locaux, partenaires sociaux – prenne conscience de la situation et de l’urgence en transparence. Des choses ont évolué : nos prélèvements obligatoires, l’année dernière, s’élevaient à 42,8 %, soit leur plus bas niveau depuis 2011…
42,8 %, c’est très élevé, non ?
Très élevé, je ne suis pas sûr, dans la mesure où en France, contrairement à d’autres pays, les prélèvements obligatoires incluent l’intégralité des dépenses de retraite et de santé. Le vrai problème c’est que notre dépense publique représente plus de la moitié (56,7 %) de la richesse produite. Ce n’est pas tenable. Cette question sera au cœur de la conférence réunie par le Premier ministre et du dialogue qu’il entend mener. La gestion des finances publiques et la préparation du futur budget nécessitent un véritable débat démocratique. Dans le contexte politique et international dont nous venons de parler, nous devons tous être à la hauteur.
Marine Le Pen a été condamnée à une peine de cinq ans d’inéligibilité immédiate. Cette décision judiciaire, qui empêche la favorite de la prochaine présidentielle de se présenter, vous choque-t-elle ?
Je constate que Marine Le Pen a fait appel de ce jugement et que ce procès aura lieu en 2026. La cour d’appel est souveraine. Ce ne sera plus une décision de première instance, mais une décision définitive, rendue avant la présidentielle. Soit elle invalidera la décision de première instance, soit elle confirmera l’inéligibilité, jugeant que les faits reprochés justifient cette sanction. Il faut respecter les institutions et la justice.
Luc Rémont quitte EDF sur fond de désaccords avec l’État. Est-ce une sanction ? Pourquoi précipiter son départ à trois mois seulement de la fin de son mandat ?
Ce n’est pas une sanction, mais une décision de cohérence, à un moment stratégique pour EDF. Nous entrons dans une nouvelle phase : celle de la préparation des six nouveaux réacteurs et de la pleine mobilisation d’EDF pour la réindustrialisation du pays. Cela nécessite un pilotage clair et une ligne partagée sur les objectifs. Sur certains aspects, nous n’étions plus en phase avec Luc Rémont. En accord avec le président de la République et le Premier ministre, nous avons estimé que Bernard Fontana était mieux armé pour cette nouvelle étape. C’est une décision que j’assume pleinement, car elle est nécessaire pour EDF et pour notre industrie.
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