Si la mission des armées est de mener des guerres, le combat du recrutement et de la fidélisation est un objectif à part entière. Sur cette thématique, un récent rapport parlementaire fait état d’une forte hausse des désertions au sein des personnels militaires entre 2021 et 2023, avec une augmentation de 31 % – passant ainsi, en moyenne, d’un millier de cas par an à 1 253.
Selon les données recueillies par les députés Loïc Kervran (Horizons) et Caroline Colombier (RN) auprès de l’État-major des armées (EMA), le phénomène atteint même les 56 % sur la période 2021-2022, avec 1 485 déserteurs. Avant 2022, ces chiffres étaient globalement stables, avoisinant les 900 départs par an – avec une baisse notable en 2020 due à la crise du Covid. Pour expliquer cette tendance, le rapport évoque la guerre en Ukraine en 2022, qui a entraîné le départ de 85 légionnaires d’origine ukrainienne vers leur pays, soit 20 % des déserteurs cette année-là.
Autres explications avancées par les rapporteurs : la « pleine sortie de la crise de la Covid-19 » a entraîné un « effet de rattrapage des départs retardés pendant la crise en raison des incertitudes et de la versatilité professionnelle accrue des jeunes actifs ». Ils soulignent également une « période de plein-emploi », qui accentue ce phénomène. Contacté par le JDD, le député Loïc Kervran explique que « dans un contexte de plein-emploi où les sollicitations et les opportunités dans le civil sont plus nombreuses, ces mécanismes jouent plus fortement ».
Parmi les autres pistes évoquées dans le rapport figure l’« incertitude et la versatilité professionnelles des jeunes actifs », alors que la notion même d’engagement à la signature du contrat, et son caractère contraignant, peuvent être perçus comme un frein. Certains engagés peinant à respecter leur contrat jusqu’au bout. Pour y remédier, l’armée de Terre propose désormais des durées plus courtes et parfois adaptés aux profils, alors qu’auparavant, elle imposait des engagements de cinq ans.
Le rapport pointe aussi « un problème d’adaptation à la vie militaire et d’acceptation des singularités et contraintes de cet engagement ». Le député Loïc Kervran détaille : « Il existe parfois un décalage entre les éléments de communication du recrutement des armées, qui mettent en avant l’aventure, les opérations extérieures, etc., et la réalité des missions confiées ». Dans un contexte où la France s’est largement retirée militairement d’Afrique et où l’attractivité des missions s’essouffle, l’armée de Terre a revu sa stratégie de recrutement. Sa dernière campagne, plus rustique, est intitulée « Peux-tu le faire ? » – une appellation qui succède symboliquement à « Faire de sa vie une aventure ».
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Si, officieusement, l’armée de Terre se dit « pas inquiète » face à cette hausse des désertions, elle fait néanmoins de la fidélisation sa priorité. Tandis que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a récemment présenté une série de mesures pour renforcer l’engagement des militaires et des civils à travers le programme Fidélisation 360, le chef d’état-major de l’armée de Terre, Pierre Schill, évoque une « bataille des effectifs ».
Sur le plan juridique, l’article L321-2 du Code de justice militaire définit un militaire comme déserteur s’il « s’évade, s’absente sans autorisation, refuse de rejoindre sa formation de rattachement ou ne s’y présente pas », que ce soit en France ou à l’étranger, ou encore s’il ne se présente pas au départ d’une mission hors du territoire national. La désertion est officiellement constatée après sept jours d’absence et doit faire l’objet d’une dénonciation, conformément à l’article 698 du Code de procédure pénale. En temps de paix, ce délit est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller de cinq à dix ans.
Sur ce dernier point, le rapport recommande une plus grande fermeté, constatant que la majorité des cas sont classés sans suite ou aboutissent à des condamnations symboliques. « Le plus souvent, les peines prononcées sont des peines d’emprisonnement assorties d’un sursis simple allant de 15 jours à 6 mois, voire un classement sans suite selon les juridictions », indique les parlementaires. Et d’ajouter : « Les peines constatées actuellement ne sont pas dissuasives : par exemple, la section AC3 du parquet de Paris – affaires militaires et atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation – classe systématiquement sans suite. »
L’idée d’alourdir les sanctions est donc mise en avant comme une solution possible. Un officier confie au JDD : « Si je ne respecte pas les règles et que je ne suis pas puni, pourquoi les respecter ? Peut-être qu’une plus grande sévérité serait une bonne chose. »
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