Le XXe siècle avait consacré les vertus du libre-échange. L’idée d’un monde ouvert, fluide, interconnecté, avait fini par s’imposer comme horizon indépassable de la modernité. Le XXIe siècle s’engage sur une rupture avec cette idée. Aux États-Unis, Donald Trump a brandi les étendards du protectionnisme, marquant ici une différence fondamentale avec ses prédécesseurs – une de plus. Il a imposé des droits de douane massifs, notamment à l’encontre de la Chine, convoquant une rhétorique martiale que l’on croyait disparue : celle de la guerre commerciale.
À première vue, la logique semble limpide. En érigeant des barrières douanières, le président américain espère affaiblir le rival chinois, rééquilibrer la balance commerciale et restaurer la grandeur industrielle de l’Amérique. Le bon sens économique populaire s’en réjouit : moins d’importations, plus de production locale, et un retour glorieux des usines dans le Midwest. Mais si la réalité était plus retorse ? Et si, derrière cette apparente démonstration de force, se dissimulait une mécanique de renforcement, au profit non de Washington, mais de Pékin ?
Sans surprise, la Chine, loin de se laisser surprendre, riposte. Pékin impose à son tour des droits de douane sur les produits américains, tout en affichant une étonnante résilience. Il faut comprendre que le conflit ouvert par Donald Trump n’est pas seulement tarifaire. Il est stratégique et civilisationnel. Dans ce jeu d’échecs à l’échelle planétaire, la Chine joue le long terme, avec la patience des empires anciens.
« Les consommateurs américains en font les frais : leurs produits importés deviennent plus chers »
Certes, à court terme, les entreprises chinoises vont souffrir. Les exportations vers les États-Unis ralentissent, certains secteurs industriels ploient. Mais cette tension extérieure agit comme un aiguillon. Elle force la Chine à accélérer les réformes qu’elle n’osait jusqu’ici pleinement entreprendre. Diversification des marchés, développement de la consommation intérieure, montée en gamme industrielle, conquête de l’autonomie technologique : la guerre commerciale devient un catalyseur.
Effet boomerang
Le protectionnisme américain pourrait donc être un cadeau empoisonné. En voulant isoler la Chine, Trump l’a poussée à consolider ses alliances : vers l’Asie, l’Afrique, la Russie. Pékin renforce sa présence dans les institutions internationales, signe des accords de libre-échange alternatifs et se positionne en champion de la mondialisation tempérée, tandis que Washington s’isole.
La suite après cette publicité
Pis encore, l’Amérique se blesse elle-même. Car les tarifs douaniers, loin d’être une punition pour la Chine seule, sont un boomerang. Les consommateurs américains en font les frais : leurs produits importés deviennent plus chers, l’inflation menace. Les entreprises qui dépendent de composants chinois vont voir leurs coûts exploser, leur compétitivité s’éroder. Et les agriculteurs, victimes collatérales des représailles chinoises, s’inquiètent de l’avenir.
Dans ce désordre orchestré, les marchés tanguent, les chaînes d’approvisionnement se fissurent, et le grand récit du capitalisme mondialisé vacille. La Chine, contrainte à l’autosuffisance, retrouve paradoxalement une forme de souveraineté. Loin de se soumettre, elle innove, investit, développe ses propres géants technologiques – soyons honnêtes cela ne date pas de la présidence Trump. Huawei, Alibaba… s’émancipent du besoin occidental. La dépendance se renverse.
Ainsi, le geste protectionniste de Trump, pensé comme une manœuvre de réaffirmation nationale, pourrait bien marquer une bascule géopolitique : celle où la Chine, poussée dans ses retranchements, accélère son ascension. À vouloir briser la Chine, Trump l’a peut-être renforcée. L’histoire dira si, dans ce duel d’empires, c’est le geste brutal du président américain ou la stratégie patiente du pouvoir chinois qui aura façonné le siècle.
La guerre de deux modèles de civilisation
Mais il serait illusoire de croire que ce bras de fer se limite aux flux de marchandises et aux taux de change. Car derrière les querelles douanières s’esquisse une rivalité plus vaste : celle de deux modèles de civilisation. Traditionnellement, les États-Unis défendent une vision libérale, démocratique, occidentale, dont ils sont les hérauts depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
« Dans cette compétition globale, la guerre commerciale apparaît presque comme un prélude »
La Chine, elle, propose un contre-modèle parfois jugé autoritaire, technologique, fondé sur le contrôle social, la stabilité et la croissance. Ce conflit latent s’exprime dans les enceintes internationales, dans les réseaux numériques, dans la conquête des intelligences artificielles et, de plus en plus, dans la sphère militaire.
Car la montée en puissance chinoise ne se limite pas aux usines et aux laboratoires. Elle se mesure aussi en tonnes de porte-avions, en missiles hypersoniques et en bases stratégiques installées aux confins de l’océan Indien. À travers Taïwan, la mer de Chine méridionale ou le Pacifique, l’affrontement s’intensifie. Il ne s’agit plus seulement de savoir qui vendra le plus de smartphones ou d’acier, mais de déterminer qui définira les règles du monde à venir.
Dans cette compétition globale, la guerre commerciale apparaît presque comme un prélude, une première escarmouche dans un choc plus profond entre deux puissances aux visions du monde inconciliables. Et paradoxalement, en voulant contenir la Chine sur le terrain économique, Donald Trump ne fait que précipiter son enracinement comme acteur incontournable du siècle qui s’ouvre. C’est la toute la menace.
Source : Lire Plus