Le jugement contre Marine Le Pen a été un tremblement de terre. Ce lundi 31 mars, le tribunal correctionnel de Paris a condamné la cheffe des députés RN à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec effet immédiat dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Front national (devenu Rassemblement national). À l’issue de son procès en appel à l’été 2026, la « candidate naturelle » de son camp pourrait ne pas pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de 2027.
Marine Le Pen a dénoncé une « décision politique » visant à l’empêcher de concourir au scrutin suprême. « L’État de droit a totalement été violé par la décision rendue puisque la magistrate a empêché un recours. Elle considère que se défendre justifie l’exécution provisoire », a-t-elle ajouté. Mais le verdict traduit surtout une tendance de fond : l’explosion des sanctions visant les personnalités politiques. Les peines d’inéligibilité ont ainsi été multipliées par plus de 50 entre 2016 et 2022. Les chiffres du ministère de la Justice recensent 171 condamnations en 2016 contre 9 126 six ans plus tard.
Ces évolutions ont été initiées par les parlementaires. Il y a d’abord eu les lois du 11 octobre 2013, dites Cahuzac, qui ont augmenté la durée d’inéligibilité maximale pour les élus à dix ans. Puis deux autres textes ont entraîné une envolée des peines. En 2016, la loi Sapin 2 a rendu l’inéligibilité obligatoire pour les infractions liées à la probité publique. En réalité, les juges peuvent ne pas la prononcer mais doivent alors motiver leur choix. Enfin, en 2017, le texte pour la confiance dans la vie politique a élargi la loi Sapin 2 à d’autres infractions relevant du droit pénal des personnes et des biens.
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La condamnation de Marine Le Pen s’inscrit donc dans la métamorphose du droit voté par le Parlement – bien que la loi Sapin 2 n’a pas été prononcée dans l’affaire des assistants parlementaires, car celle-ci n’était pas en vigueur au moment des faits reprochés. Le tribunal a en revanche estimé que « le prononcé d’une peine complémentaire d’inéligibilité bien que facultative à l’époque des faits », apparaissait tout de même « nécessaire ». Et pour cause : « Une telle peine complémentaire répond de façon particulièrement adaptée à la double fonction punitive et dissuasive prévue par la loi ».
« Il faut revenir en arrière sur la question de l’exécution provisoire »
Le cas de Marine Le Pen sera-t-il la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? Plusieurs affaires similaires ont déjà défrayé la chronique. L’actuelle députée UDR Brigitte Barèges avait ainsi été condamnée en première instance pour « détournement de fonds publics » à cinq ans d’inéligibilité avec effet immédiat, en 2021. Elle avait alors perdu tous ses mandats : maire de Montauban (Tarn-et-Garonne), présidente du Grand Montauban, conseillère départementale… Avant d’être totalement relaxée par la cour d’appel de Toulouse quelques mois plus tard.
Pour mettre fin aux peines considérées par certains comme disproportionnées, des voix s’élèvent pour demander une possible révision des précédents textes visant à moraliser la vie politique. « Sept ans après la loi de 2017, plus de neuf après la loi Sapin, il faut évaluer leurs conséquences et les modifier si nécessaire », a par exemple indiqué le président du Palais du Luxembourg, Gérard Larcher, à Public Sénat. « C’est un sujet assez compliqué », admet de son côté au JDD le député RN Philippe Ballard. « Ça ne me paraît pas aberrant de rendre inéligible des élus condamnés pour enrichissement personnel. En revanche, il faut effectivement revenir en arrière sur la question de l’exécution provisoire », avance l’ancien journaliste.
Dans ce sens, les troupes d’Éric Ciotti proposeront un texte le 26 juin prochain afin de supprimer l’exécution provisoire pour les peines d’inéligibilité. Le Premier ministre lui-même s’est dit ouvert à une « réflexion » à propos de l’exécution provisoire. « C’est au Parlement, quand il s’agit de s’interroger, de prendre ses responsabilités », a-t-il ajouté. Pour y parvenir, les législateurs devront alors changer l’article 471 alinéa 4 du Code de procédure pénale.
« Ce revirement doit être une leçon pour les législateurs dont je fais partie », grince le sénateur LR Max Brisson auprès du JDD. « On a durci les lois après l’affaire Cahuzac et maintenant on se rend compte qu’on est allé trop loin. On a voulu laver plus blanc que blanc tout en donnant des pouvoirs exorbitants aux juges », cingle le proche de Bruno Retailleau, qui rappelle que Marine Le Pen plaidait elle-même pour « l’inéligibilité à vie » pour les élus condamnés pour « détournement de fonds publics » en 2013. Pour sa part, le sénateur des Pyrénées-Atlantiques doute que les parlementaires puissent revenir sur les dernières lois : « Les gens vont considérer que les politiques s’exonèrent de leurs propres textes. Si on souhaite changer notre cadre, il faudra alors être très pédagogue avec l’opinion ».
« La moralisation de la vie politique a surtout eu pour effet d’inverser la charge de la preuve », peste pour sa part au JDD le député UDR Maxime Michelet. « Aujourd’hui, quand vous rentrez en politique, vous êtes d’office suspecté d’être coupable et devez montrer pattes blanches. À la suite de l’affaire Cahuzac, on a mis dans l’esprit des gens la logique du “tous pourris”. Dans chaque homme politique sommeillerait un Cahuzac en puissance », s’agace-t-il. En outre, à force de traquer la corruption, on aurait fini par créer l’illusion que celle-ci est partout : « La classe politique actuelle est la plus surveillée et la plus transparente qu’ait connu l’histoire et pourtant, l’effet pervers de cette moralisation est la multiplication des affaires, qui génère une impression de corruption généralisée », a pointé le constitutionnaliste Benjamin Morel sur l’antenne de France Inter.
Or, certains craignent que cette prise de conscience ne génère une légifération prématurée, qui irait totalement à rebours des lois de moralisation votées jusqu’ici. « Ma crainte est qu’une ribambelle de propositions de loi arrivent dans l’urgence. N’entrons pas dans une spirale inverse aux textes post-affaire Cahuzac », souligne au JDD le député MoDem Philippe Vigier. « Pour ne pas surréagir sur un sujet si important, les changements doivent être proposés par le gouvernement, avec des projets de loi complétés d’un avis du Conseil d’État », abonde le sénateur LR Max Brisson.
À la gauche de l’échiquier politique, au contraire, les groupes affirment ne pas être allés au bout de la moralisation de la vie politique. « Je pense même qu’il nous faut aller encore plus loin », avance au JDD le député socialiste Pierrick Courbon. « Je suis par exemple favorable au maximum de contrôle et de surveillance possible, y compris à l’échelon local », poursuit l’élu de la Loire, prenant l’exemple de l’affaire de sextape à la mairie de Saint-Etienne. « Nous sommes englués dans une affaire politico-financière avec un premier édile triplement mis en examen pour chantage, soustraction de preuves et détournement de fonds publics. Il est pourtant encore maire de la ville et l’affaire empoisonne totalement la vie du territoire depuis plus de deux ans », assène-t-il, alors qu’un procès a été requis par le parquet de Lyon. À la question : la classe politique est-elle allée trop loin sur la moralisation de la vie politique, force est de constater que le clivage droite-gauche bat son plein.
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