On fait le point pour ceux qui sortiraient d’un long coma en ce début de mois agité : oui, l’Hexagone traverse une grave crise politico-sociale ; oui, Daniel Cohn-Bendit fait le tour des plateaux télé… mais non, nous ne sommes pas en Mai-68 ! À l’occasion de la parution de Souvenirs d’un apatride (Mialet-Barrault), son dernier ouvrage coécrit avec la journaliste Marion Van Renterghem, l’ancien élu écologiste multiplie les apparitions médiatiques pour faire sa promo – comme si ses débats hebdomadaires avec Luc Ferry sur LCI ne suffisaient pas.
Après une micro-polémique autour de son récent passage sur France 5 et sa défense, cinquante ans plus tard, face aux accusations de pédophilie visant son livre Le Grand Bazar (1975), l’ex-eurodéputé suscite désormais la controverse en raison de ses propos sur les Gilets jaunes. Il faut dire que celui qu’on surnommait « Dany le Rouge » semble avoir perdu en couleur quand il s’agit de mobilisation sociale.
« Je suis contre [ce mouvement]. Ce sont des révoltés franchouillards […] enfermés dans une pensée hexagonale », écrit l’indéboulonnable « citoyen du monde », bien plus à l’aise sur les barricades libertaires d’antan que sur les ronds-points provinciaux.
« Ça ne me dérange pas qu’on pense que j’ai la grosse tête. Je reconnais qu’ils sont blessés socialement, mais je [n’approuve pas] les solutions qu’ils proposaient, soit un retour de l’agriculture contre la PAC », développe-t-il encore au micro de RMC ce mardi 1er avril, martelant qu’il n’a pas traité ces milliers de Français de « beaufs ». Nous voilà rassurés…
L’essentialisation de Daniel Cohn-Bendit survit-elle à l’épreuve des faits ? Pas vraiment. Il faut croire que notre Che Guevara d’outre-Rhin (il a acquis la nationalité française en 2015) est passé à côté des analyses largement reprises du géographe Christophe Guilluy, qui a parfaitement décrit les causes profondes de ce soulèvement populaire dans La France périphérique.
Dès son apparition, le mouvement des Gilets jaunes a refusé toute figure tutélaire, rassemblant des manifestants aux profils variés, issus de tous les bords politiques (si ce n’est d’aucun). Bien que la protestation se soit d’abord cristallisée autour de l’augmentation du prix des carburants automobiles, les revendications se sont ensuite élargies, prenant la forme d’une véritable révolte des « petites gens » (d’aucuns diront des « gueux ») contre la déconnexion des élites mondialisées, qui leur imposent leurs diktats – comme le président Emmanuel Macron ou… l’apparatchik Daniel Cohn-Bendit.
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À l’origine engagé chez Europe Écologie-Les Verts, le bientôt octogénaire fut d’ailleurs un soutien de la première heure du chef de l’État – avec qui il a toutefois assuré avoir pris ses distances fin 2023. Est-ce vraiment étonnant, alors, de le voir rabâcher peu ou prou le même discours que le locataire de l’Élysée quant à cette crise, l’une des plus importantes (avec le Covid) de son premier mandat ?
« Il ne faut pas se leurrer, la transition écologique et énergétique, c’est la chose la plus dure qui soit. Elle nous oblige à changer de mode de vie […] Il faut arrêter de dire que c’est “le peuple” quand il y avait 200 000 à 300 000 personnes dans les rues », commentait déjà Daniel Cohn-Bendit dans un entretien au Parisien au pic de la contestation. Et de reconnaître, avec empathie : « Je comprends, oui : ceux qui ont manifesté ne sont pas contents [sic]. » De l’art d’infantiliser la colère.
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