Le 15 janvier 2004, le Bugaled Breizh sombrait dans la Manche, ses cinq marins avec lui. Un bateau qui coule, cela n’a rien d’exceptionnel, les hommes de la mer connaissent ses dangers. Mais la rapidité du naufrage de ce chalutier breton (37 secondes), par temps calme qui plus est, et le combat des familles pour dissiper les mystères entourant sa cause en ont fait une bataille judiciaire qui aura duré dix-sept ans avant d’aboutir à un non-lieu.
Que s’est-il passé ce jour-là au large des côtes de Cornouailles ? Collision avec un navire de surface, croche molle, erreur de l’équipage, accrochage avec un submersible ? En France comme en Angleterre, la justice a conclu à un accident de pêche, écartant la piste de l’USS Hyman G. Rickover, un sous-marin nucléaire d’attaque, en dépit des fortes suspicions suscitées par l’expertise de l’ancien sous-marinier Dominique Salles.
Cette enquête donne lieu à une ambitieuse mini-série tournée en grande partie dans le Finistère. La chapeautent Anne Landois, la tête pensante des saisons 5 et 6 d’Engrenages, et Sophie Kovess-Brun, en particulier scénariste sur l’ancienne série phare de Canal+. Toujours désireux de coller au réel, aux faits en l’occurrence, le binôme s’est longuement plongé dans le dossier d’instruction. Il a aussi rencontré l’expert sous-marinier, dont il épouse l’opinion, l’ancien président du comité local des pêches, le premier magistrat chargé de l’enquête ou l’avocat des familles, tous renommés, fiction oblige. Pas les familles en revanche, à dessein.
« Si elles nous avaient confié leur chagrin, nous aurions eu du mal à écrire par-dessus », explique Anne Landois. Là résidait le défi (réussi) de 37 secondes (meilleure série française à Séries Mania) : amener du romanesque à cette affaire au long cours sans la dépouiller de sa complexité, tout en rendant hommage à la ténacité des proches des disparus. Elle est ici incarnée par le personnage de la talentueuse Nina Meurisse (César du meilleur second rôle féminin pour L’Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine), jeune mareyeuse et belle-sœur de l’un des disparus.
C’est elle qui tient la barre dans la lutte pour la vérité, avec l’aide du juge d’instruction (excellent Pierre-François Garel) et de leur avocat (subtil Mathieu Demy) dont elle s’entiche malgré l’amour voué à son conjoint. Dans les eaux troubles de la fiction inspirée des drames non élucidés, la série mêle enquête fouillée, émouvant récit d’émancipation et romance pudique sans perdre son cap difficile à tenir. Jusqu’à un épisode final très réussi qui dévoile les ressorts intimes sur lesquels s’appuient les motivations de son héroïne.
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On est immergé dans le quotidien authentique des marins
En naviguant entre les milieux (si éloignés) de la pêche et de la justice, elle immerge aussi le spectateur dans le quotidien des marins, avec le même souci d’authenticité dans sa peinture de cette classe ouvrière. « Les gens qu’on a rencontrés ont pris le temps de nous parler de leur métier, poursuit Anne Landois, d’expliquer ce que c’est de prendre la mer, les dangers auxquels ils sont confrontés. Comme les policiers, quand ils partent le matin, ils ne savent pas s’ils vont rentrer chez eux le soir. Ils font pratiquement tous le signe de croix avant de quitter le port. » Une communauté aux conditions de travail difficile mais soudée, notamment autour de la religion. « Je ne vois pas comment les familles auraient pu mener ce combat sans spiritualité, ajoute Sophie Kovess-Brun. On le sent, c’est une puissance, un ancrage. La mettre en scène était quelque chose d’évident. »
Plus de vingt ans après le naufrage, l’affaire du Bugaled Breizh, la procédure britannique ayant eu lieu en 2021, demeure vivace dans les esprits bretons. L’équipe de 37 secondes a pu le constater lors de la reconstitution de la marche silencieuse en soutien aux familles des victimes : des Finistériens absents ce jour de décembre 2006 à Quimper ont tenu à y participer. « Le silence était habité, se souvient Nina Meurisse. On sentait que quelque chose se rejouait dans la scène. » Un besoin de mémoire auquel la série s’arrime, non sans l’espoir qu’un jour émerge un fait nouveau. « Rapporter ce type d’affaires fait partie de notre rôle d’auteurs de fictions, estime Anne Landois. Nous aussi avons le nôtre à jouer. » Avant que le temps n’engloutisse les souvenirs.
37 secondes ★★★ d’Anne Landois et Sophie Kovess-Brun, avec Nina Meurisse, Mathieu Demy, Laurent Poitrenaux. Six épisodes de 52 minutes. Les jeudis 3 et 10 avril à 20h55 sur Arte.
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