Le Carême : ce temps de pénitence et de conversion intérieure, où les chrétiens, suivant l’exemple de Jésus, font l’expérience du désert par le jeûne et la prière, connaît un véritable essor. Une parenthèse symbolique et spirituelle de 40 jours au cours de laquelle les fidèles catholiques sont appelés à se détacher des biens matériels pour mieux ressentir la présence de Dieu. Cette année encore, de nombreux jeunes arboraient une croix poussiéreuse sur le front au sortir de la messe des Cendres, le 5 mars dernier. Dans toutes les églises, prêtres comme paroissiens relèvent au fil des ans le nombre croissant de jeunes fidèles au début du Carême. L’Église renaîtrait-elle de ses cendres ? Une enquête Opinion Way, réalisée pour la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), témoignait dès 2015 d’un regain spirituel chez les 18-24 ans et les 25-34 ans.
Élan spirituel, volonté de renouer avec les traditions ou pur mimétisme comportemental entre jeunes issus d’un même milieu conservateur : plusieurs raisons peuvent expliquer la popularité du Carême chez les jeunes Français.
La recherche d’un « dialogue intérieur avec Dieu »
Parmi les jeunes qui fréquentent le parvis des églises et qui vivent chaque année le temps du Carême, nombreux sont ceux qui recherchent « un dialogue intérieur avec Dieu ». On constate au sein de la jeune génération « un très fort besoin de spiritualité », observe Sacha, jeune catholique de 24 ans. Un besoin que « la société moderne » aurait, selon lui, tenté de « balayer ».« Depuis 100 ans, on nous fait croire que la science et le confort matériel peuvent remplacer Dieu. C’est totalement faux », estime-t-il.
Un grand nombre des jeunes qui pratiquent le Carême ont été baptisés enfants. C’est le cas de Virgile, 22 ans, qui a quitté sa Bretagne natale pour poursuivre ses études à Paris. Baptisé peu après sa naissance, il nous confie cependant avoir « choisi Dieu en pleine conscience » bien plus tard. Le Carême est vécu par le jeune homme comme « un moment de mise à l’épreuve », une aventure nécessaire pour « se rapprocher de Dieu et de son message ». L’entrée dans le Carême est, pour le Breton, le fruit d’un profond acte de volonté, où l’essentiel, nous livre-t-il, consiste à se dire à soi-même : « Allez, pour 40 jours, je serai tenté, testé, comme Jésus l’a été. À la différence que moi, j’échouerai parfois, mais je me relèverai car Il est là ». Interrogé sur ce temps fort du calendrier liturgique, Sacha, lui aussi baptisé enfant, nous livre son témoignage : « Je prie davantage pendant le Carême. Je prie pour tous les gens que j’aime, pour mon pays, à l’intention de Dieu également ». « J’ai toujours une petite prière pour mes morts que j’espère en paix », confesse-t-il.
La suite après cette publicité
Un chemin de 40 jours : 40 jours de prières, de partage et de jeûne qui exigent selon Monseigneur Philippe Marsset, évêque en l’église Saint-Sulpice de Paris, « de recevoir plutôt que de donner » : accueillir le pardon du Seigneur en faisant acte de repentance. Pour lui, c’est avant tout « un besoin de transcendance » qui anime les jeunes croyants pratiquant le Carême : « Dans l’horizontalité de nos vies et des questions que tout homme se pose, le Carême instaure de la verticalité », explique Monseigneur Marsset pour le JDD.
Le Carême et ses rituels comme quête d’identité
La quête d’identité pourrait, elle aussi, expliquer l’engouement que connaît le Carême auprès des jeunes catholiques français. Au-delà de la quête de spiritualité et du besoin de recueillement, il existe également au sein de cette jeunesse croyante un fort besoin de faire communauté et de partage. C’est le propre de la religion (du latin religare) de relier les hommes à Dieu (transcendance verticale) ; elle est aussi un puissant vecteur d’appartenance, en reliant les fidèles entre eux (transcendance horizontale).
Cette communauté des croyants ne peut se passer de rites et « c’est (précisément) ce que propose le Carême », souligne Monseigneur Marsset. Sacha abonde en ce sens : chez beaucoup de catholiques, « le Carême devient un rite comme le Ramadan », constate le jeune homme. En faisant œuvre de pénitence et de frugalité lors du Carême, « les jeunes se tournent vers des rituels de plus en plus codifiés, pour se convaincre d’être de bons catholiques », affirme-t-il.
Au-delà des rites, qui perpétuent l’identité religieuse, le fait d’appartenir à une minorité renforce plus encore la jeune communauté chrétienne, agrégeant les jeunes fidèles entre eux, face à la majorité athée au sein de la société. Pour Monseigneur Philippe Marsset, c’est parce que les chrétiens sont « de plus en plus minoritaires dans la société » française, qu’ils ont de plus en plus « besoin d’avoir des lieux, une citadelle où (eux, chrétiens) aient le sentiment d’exister comme un peuple et non pas comme des individus cheminant seuls dans leurs sillons ».
Un message entravé par le manque de culture des plus jeunes
Pour autant, Sacha constate autour de lui, du moins chez certains pratiquants, une perte du sens profond que représente l’acte du Carême. « On revient à des pratiques catholiques mais on n’a plus la connaissance du sens de ces rites » estime-t-il. « D’où cette caricature qu’est devenue pour moi la pratique du Carême chez beaucoup de jeunes » juge-t-il, avec une pointe d’esprit critique.
En dépit de la « forte appétence spirituelle » qu’il constate auprès de cette jeunesse en quête de Dieu, il y a selon Monseigneur Marsset « un vide culturel et cultuel concernant le patrimoine spirituel chrétien. Un manque de culture, d’éducation et de connaissances » que l’Église doit combler.
L’évangélisation numérique et l’effet confinement
Si le Carême connaît un engouement incontestable auprès des jeunes catholiques français, les réseaux sociaux y sont peut-être pour quelque chose. Depuis quelques années, la toile a vu émerger un nouveau type d’influenceur : les influenceurs catholiques, qui prêchent la parole de Dieu en dehors de leur église paroissiale. C’est le cas de sœur Albertine (279 000 abonnés sur sa page Instagram), enseignante au lycée des Maristes à Lyon, qui témoigne auprès des jeunes de sa vie de religieuse ; des prêtres du Padreblog (103 000 abonnés sur Instagram), tous trois venus de Versailles, qui expliquent aux jeunes catholiques les préceptes de l’Église ; ou encore le père Gaspard Craplet (86 800 abonnés sur Instagram), ancien ingénieur et officier de Marine devenu aumônier auprès de la société Jean-Marie Vianney. D’autres apportent également une lecture plus traditionaliste et identitaire comme l’abbé Matthieu Raffray (151 000 abonnés sur Instagram).
Le phénomène des cyber-apôtres prend une telle ampleur que naît en 2022, lors d’une soirée à la Conférence des évêques de France, le réseau Acutis, une agence de communication au service des paroisses et associations catholiques et différentes communautés religieuses. Elle fédère aujourd’hui une trentaine d’influenceurs catholiques, dont le frère dominicain Paul-Adrien (163 000 abonnés), devenu l’archétype de cette évangélisation numérique.
Pour Virgile, qui avoue ne pas se sentir « très à l’aise avec tout ça », l’engouement que suscite le Carême et la foi catholique chez les plus jeunes est cependant une excellente nouvelle. « C’est tout simplement la meilleure chose qui arrive à l’Église » s’exclame-t-il avec enthousiasme. « On reproche à l’Église d’être vieillotte, désuète… On a pensé que Dieu était mort, mais il est éternel ». Face au « bruit permanent de la société matérialiste », l’Église apporte une paix intérieure et propose « un silence rassurant : celui de Dieu », témoigne-t-il.
Elle nourrit aussi un « besoin de sacré », ajoute Sacha, une soif manifestement de plus en plus présente chez les jeunes Français depuis le confinement. « Depuis le retour du Covid »,précise Monseigneur Marsset, les diocèses de France constatent, en parallèle de la présence accrue de jeunes fidèles lors des offices, « une flambée des demandes de baptêmes chez les adultes ». « Un moment de solitude et d’isolement, qui a amené de nombreux jeunes à se poser la question du sens de la vie », explique le vicaire général du diocèse de Paris. Selon lui, Dieu seul permet, par Sa grâce, « d’affronter ce mystère ».
Source : Lire Plus