En cent jours, J. D. Vance a réussi à devenir l’Américain le plus détesté en Europe. Il a tout fait le week-end dernier pour étendre sa réputation au-delà du cercle polaire. Sa visite au Groenland, sans invitation et sans égard pour les autochtones en campagne électorale, constitue une caricature de harcèlement diplomatique.
À l’origine, son épouse Usha devait mener une offensive de charme en assistant à la course de chiens de traîneaux, principale attraction du pays. Le débarquement du barnum sécuritaire a refroidi les Groenlandais. La présence du conseiller à la Sécurité nationale a semblé une ingérence. À Nuuk, les portes se sont fermées et la visite de la délégation a été jugée indésirable.
L’Amérique en colère
La manière dont l’équipe Trump exige d’acquérir le territoire n’aura eu qu’un effet : la sainte alliance de quatre partis indépendantistes qui ont gagné les élections et vont gouverner ensemble. Vladimir Poutine aura réussi le même tour de magie, susciter une ferveur nationale en Ukraine en l’envahissant. Un millier d’Inuits se sont rassemblés pour protester devant le consulat américain, ce qui constitue la plus grande manifestation publique de l’histoire du territoire. Au Groenland, Maga signifie désormais « Make America Go Away ! »
J. D. Vance a réagi à sa manière, par la surenchère. Une virée impromptue avec son épouse et sa suite sur la base américaine de Pituffik, au nord de l’immense territoire. Où il a réitéré ses attaques contre le Danemark qui aurait négligé le Groenland. Le discours anticolonial habituel des Américains pour affaiblir les vieilles nations européennes.
À la conférence de Munich, J. D. Vance avait sidéré les Européens en leur manifestant le mépris dans lequel il tient des gens infichus de contrôler leurs frontières et apeurés par leurs électeurs. Dans les échanges sur Signal qui ont fuité pendant le bombardement du Yémen, il a confessé : « Je déteste devoir renflouer l’Europe encore une fois ! » Il a été hargneux envers Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale, laissant voir combien l’Amérique peut humilier un allié récalcitrant. On le savait rugueux, c’est un pitbull. Il est le représentant de l’Amérique en colère, victime de la mondialisation. Un vrai fils du peuple sans pitié pour les enfants gâtés de l’Europe décadente.
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La clef de voûte
Frédérik X est aussi l’avocat de son peuple mais c’est son exact opposé. Le roi du Danemark n’a pas changé deux fois de prénom, pour finir par lui préférer des initiales : le sien était déterminé des siècles avant sa naissance, tous les souverains danois s’appellent en alternance Frédérik ou Christian. « Fils de » et pas « fils de p… » Il est né en 1968 et c’est un soixante-huitard. Rebelle et fier de l’être. Pas un converti de fraîche date, plutôt un mari volage.
Mais il a donné un prénom du Groenland à deux de ses enfants. Le seul livre qu’il ait préfacé est consacré au changement climatique au Groenland. Il a inauguré son règne en intégrant un ours, symbole de cette immensité glacée, au blason royal. C’est une partie de son royaume que les Vikings ont découverte il y a plus de mille ans et qui était colonie danoise avant même qu’existent les États-Unis.
Frédérik et J. D. Vance ont raison de se polariser sur le Groenland. Ses gisements de terres rares, sa situation pour surveiller les tirs de missiles et au carrefour des nouvelles routes maritimes en font l’objet d’une compétition féroce entre Russes, Chinois et Américains. Mais son sort devrait rassembler l’Otan, pas la diviser au risque de la perdre. Le monde est entré dans un siècle arctique : c’est la clef de voûte de la sécurité mondiale.
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