La mer est d’huile, le soleil bat son plein, la brise est à peine perceptible. Les conditions météorologiques sont idéales pour la navigation et rappellent, comme une petite musique qui revient sans cesse, les conditions climatiques de la mer Noire, réputée calme pour son absence de grandes marées. Nous sommes au large de Toulon, à quelques nautiques de la base navale, la plus grande d’Europe, d’où sont partis trois navires de guerre de la Marine nationale. La frégate Lorraine, mise en service en 2022, spécialisée dans la défense anti-aérienne, et deux chasseurs de mines, le Lyre et le Céphée, des « vieux loups » construits à la fin des années 1980 et dont la retraite approche à grands pas. Trois intenses journées d’exercices attendent les quelque 250 marins qui forment l’équipage de ce trio nautique, réuni sous la bannière de la Force d’action navale (FAN).
Objectif de l’entraînement ? Déminer une large zone marine dans un environnement contesté. Par « contesté », comprendre que les trois navires vont faire face à des attaques, dans les airs et par la mer. Drones navals, aériens, avions de chasse, les enseignements de la guerre en Ukraine sont bien là. L’exercice Salamine, en référence à cette bataille navale de l’Antiquité lors de laquelle une coalition grecque vainquit des Perses vingt fois supérieurs en nombre, commence.
Le Lyre semble être au mouillage. Et pourtant, il avance. À une vitesse de 2 nœuds, c’est l’équivalent de… 3 km/h. « Le déminage demande une précision d’orfèvre et une discrétion à toute épreuve », rappelle le capitaine de frégate Pierre-Henri Fichot, commandant du navire. D’où cette allure si lente. Pour détecter ces bombes sous-marines à l’explosion dévastatrice, les bateaux spécialisés dans la chasse aux mines disposent de puissants sonars. Analyser, identifier, désamorcer, tel est le triptyque des démineurs.
« Il y a différents types de mines, précise le commandant Fichot. Les plus connues sont les mines ancrées, fixées au fond de la mer par un câble ; elles se déclenchent grâce à des capteurs lorsqu’un bateau s’en approche. » Contrairement à une idée reçue, les mines ne percutent pas frontalement la coque d’un bateau. Elles explosent quelques mètres en dessous de la ligne de flottaison, et c’est l’onde de choc qui occasionne les dégâts. Et lorsqu’une mine est détectée, que faut-il faire ? « Cela dépend du type de dispositif, soit on envoie un PAP, soit on envoie les plongeurs ! » achève le commandant.
Il faut une précision d’orfèvre et une discrétion à toute épreuve
Capitaine Pierre-Henri Fichot
Un « PAP », pour « poisson autopropulsé ». C’est un petit sous-marin jaune, filoguidé, capable de descendre jusqu’à 120 mètres en profondeur. Principalement dédié à l’identification, le PAP est aussi capable de déposer une charge explosive à proximité d’une mine, afin de la faire détonner. Mais ces petits bijoux technologiques ne sont pas toujours la panacée, et il arrive régulièrement que l’on demande aux plongeurs-démineurs « d’aller voir ». Unités d’élite de la Marine, les groupes de plongeurs-démineurs (GDP) rassemblent des professionnels de la plongée sous-marine et des engins explosifs. Un métier unique, qui demande un sang-froid hors du commun. « Nous sommes plus des ‘‘palmeurs’’ que des nageurs », s’amuse Pierre, plongeur-démineur sur le Lyre.
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Ils sont capables de descendre à 80 mètres de profondeur, parfois amenés à rester plusieurs heures sous l’eau. Le processus de recrutement et de formation des plongeurs-démineurs est l’un des plus exigeants de la Marine nationale. « Entre le début de la formation et les acceptations finales, il en reste un sur dix », raconte Pierre. Ils sont aussi des as du silence et de la discrétion. « Les mines modernes sont équipées de capteurs sophistiqués qui fonctionnent souvent au champ magnétique. On est équipés en conséquence, pour être le moins détectables possible ! » ajoute le matelot.
Derrière l’image hollywoodienne de ces hommes-poissons, les risques sanitaires sont élevés. Sur les navires chasseurs de mines, impossible de ne pas croiser un infirmier hyperbare, ces soignants spécialisés dans la médecine subaquatique. Sur le Lyre, Valentine assure le rôle. « Désaturation, barotraumatisme ou problèmes d’oxygénation, les plongeurs sont exposés aux dangers de la pression de l’eau. J’ai été formée pour intervenir sur ces pathologies », détaille la soignante. Son meilleur outil, le caisson hyperbare, une cuve dans laquelle on place un plongeur victime d’un accident de désaturation. Capable de reproduire la pression sous-marine, le caisson hyperbare aide à éliminer les bulles d’azote restées prisonnières dans le corps du marin, qui peuvent provoquer de graves paraplégies.
Ils sont capables de descendre à 80 mètres et de rester des heures sous l’eau
Mais Valentine n’est pas la seule « baby-sitter » du Lyre. Peu armés, très exposés aux tirs de missiles, les chasseurs de mines ont des chances de survie faibles en environnement hostile. Mais aujourd’hui, ils ont l’avantage d’être escortés par une maman protectrice de 6 000 tonnes. À quelques miles d’ici, la Lorraine se dresse sur les lames de la Méditerranée comme une forteresse flottante. Dernière frégate admise en service au sein de la Royale (surnom de la Marine nationale), la Lorraine, longue de 142 mètres, a quelques atouts dans sa poche pour assurer la protection de ses bébés chasse-mines. Canon de 76 mm, mitrailleuses 12.7 à bâbord et à tribord, et une bardée de silos capables de délivrer des dizaines de missiles sol-air ou antinavires. « Nous formons une bulle de sécurité pour les navires de déminage », assure le capitaine de vaisseau Laurent Toncelli, commandant de la frégate.
Malgré son jeune âge, la Lorraine a déjà quelques faits d’armes au compteur. L’année dernière, elle a abattu deux drones houthis en mer Rouge, dans le détroit de Bab al-Mandab, pris d’assaut par les rebelles yéménites. En 2023, elle contribuait à l’évacuation de plusieurs centaines de ressortissants internationaux du Soudan, alors en proie à l’éclatement d’une guerre civile meurtrière.
Prochaine étape, la mer Noire ? « On s’entraîne pour toutes les missions, répond le commandant Toncelli, pour l’ensemble des théâtres d’opérations possibles et imaginables, et oui, la mer Noire peut en faire partie. » Truffé de mines flottantes déposées par les Russes et les Ukrainiens au début du conflit, ce carrefour maritime stratégique est devenu un piège mortel pour le commerce international. Si les discussions européennes actuelles portent sur une force d’interposition terrestre, plusieurs voix font part de leur volonté d’intervenir aussi sur mer. Le très probable cessez-le-feu à venir en mer Noire faciliterait cette vaste opération de déminage, et les hommes et les femmes de la Royale sont prêts à répondre à l’appel.
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