Une météorite a frappé la scène politique française ce lundi 31 mars. Le tribunal correctionnel de Paris a condamné Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec effet immédiat dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Front National (devenu Rassemblement National). En clair, et dans l’attente du procès en appel immédiatement sollicité par son avocat Me Rodolphe Bessolut, la « candidate naturelle » de son camp ne devrait pas pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de 2027.
« Si l’empêchement est avéré, le paysage politique sera complètement recomposé à droite », avance le politologue Luc Gras. Les différents partis seraient ainsi obligés de revoir leurs stratégies. À commencer par le principal concerné : le Rassemblement national. Si Marine Le Pen affirme ne pas vouloir utiliser « l’atout » Jordan Bardella « plus tôt que nécessaire », c’est bien lui qui serait destiné à la remplacer. Un sondage Toluna Harris Interactive publié ce mardi 1er avril le place en pole position en cas de candidature en 2027. Le jeune patron du RN est estimé à 36 % d’intentions de vote, soit peu ou prou le même nombre de voix que Marine Le Pen dans celui du JDD ce week-end. Une autre étude Odoxa révèle même que 60 % des sympathisants du RN l’apprécient plus que la cheffe des députés RN.
La nécessité de s’imposer pour Bardella
Mais les choses ne seraient pas si simples pour l’eurodéputé. « S’il n’a pas l’épaisseur pour s’affirmer en conquérant, la porte s’ouvrirait à d’autres candidats beaucoup plus offensifs comme Sarah Knafo ou Marion Maréchal », analyse Luc Gras. « Sa fragilité est due à son jeune âge et son manque d’expérience. Les autres partis n’hésiteront pas à l’attaquer sur ce point », abonde au JDD le sénateur LR Roger Karoutchi. C’est aussi à un niveau intermédiaire que cela pourrait coincer. En interne, quelques-uns reprochent à Jordan Bardella un exercice trop solitaire et vertical du pouvoir. Des contestations qui pourraient faire tache en pleine campagne présidentielle.
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Le séisme de l’inéligibilité de Marine Le Pen pourrait également démobiliser l’électorat d’habitude fidèle au Rassemblement national. Il risque alors de se tourner vers l’abstention, un candidat plus « radical » ou au contraire une personnalité plus expérimentée. Dans ce dernier cas, les Républicains pourraient en profiter. « Quelqu’un comme Bruno Retailleau qui est fortement marqué à droite depuis qu’il est ministre de l’Intérieur pourrait récupérer une partie des électeurs du RN », estime Luc Gras. Encore faut-il que l’ancien patron des sénateurs LR soit désigné candidat de son camp en 2027.
Au sein des Républicains, l’heure n’est toutefois pas à la jubilation. « Pour l’instant, rien est déterminé pour Marine Le Pen. Et même si Jordan Bardella la remplace, force est de constater que le jeu ne semble pas s’ouvrir davantage pour un autre parti hégémonique à droite. Notre espace politique est toujours autant restreint », note Roger Karoutchi, ancien secrétaire d’État de Nicolas Sarkozy. « Le seul enjeu pour nous est donc d’avoir un candidat capable de rassembler les électeurs partis au Rassemblement national et ceux du bloc central », poursuit le soutien de Bruno Retailleau à la présidence des LR.
Du côté des troupes d’Éric Ciotti, alliés au RN depuis les dernières législatives, on ne se projette dans aucun autre scénario que celui de la candidature de Marine Le Pen en 2027. « Ce jugement avec exécution provisoire est un scandale démocratique qui a de graves conséquences sur la vie politique française et on ne s’y résout pas », peste au JDD le député UDR Maxime Michelet. « En conséquence, nous allons proposer un texte dans notre niche parlementaire en juin afin d’en finir avec les exécutions provisoires pour les peines d’inéligibilité. Il fonctionnera de manière rétroactive pour Marine Le Pen qui pourra se présenter à la prochaine présidentielle s’il est voté », affirme l’élu de la Marne. Ce mardi, François Bayrou a également évoqué une « réflexion » au Parlement sur l’exécution provisoire.
Une porte ouverte pour Zemmour et Dupont-Aignan ?
Même si la décision de justice était confirmée, Éric Ciotti n’en saurait pas le grand perdant pour autant. « Si Jordan Bardella y va, il aura besoin de personnes expérimentées comme lui à ses côtés », explique Luc Gras, qui rappelle que les deux hommes ont déjà fait plusieurs déplacements ensemble, comme devant le Medef en juin dernier.
D’autre part, la porte pourrait-elle s’ouvrir pour des petits partis, à l’image de Reconquête d’Éric Zemmour, Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan ou Identité-Libertés de Marion Maréchal ? « Le Rassemblement national a tellement ratissé large dans le camp nationaliste et souverainiste qu’aucun d’entre eux ne fera plus de 3 % », cingle le sénateur LR Roger Karoutchi. D’autant que Marion Maréchal est revenue dans le giron du RN après son passage chez Éric Zemmour. Une candidature dissidente de celle qui prône « l’union des droites » depuis de nombreuses années serait ainsi contre-intuitive.
Les conséquences d’une inéligibilité de la cheffe des députés RN en 2027 pourraient aussi toucher le bloc central. La logique d’un second tour contre Jordan Bardella changerait la donne pour Édouard Philippe, alors qu’il se prépare depuis de nombreux mois à affronter Marine Le Pen. Il aurait ainsi face à lui un candidat davantage sur son terrain, sur l’économie. Gabriel Attal pourrait de son côté valider sa théorie du « saut générationnel », à l’image du duel mis en avant contre le patron du RN lorsqu’il était Premier ministre. Quoi qu’il en soit, toutes les formations politiques s’accordent pour ne tirer aucune conclusion définitive de la décision du lundi 31 mars. Mais chaque camp – encore plus à droite – avancera ses pions en fonction de l’évolution des circonstances à venir.
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