Système éducatif à bout de souffle, réformes inefficaces, chute du niveau, élèves (et parents) infernaux, insécurité grandissante… Ophélie Roque a pourtant décidé il y a sept ans de franchir les portes de l’Éducation nationale. « Une réorientation fondée sur le seul espoir d’échapper à l’ennui des métiers dits de bureau, [qui] s’est transformée en véritable vocation », confie-t-elle dans un livre lucide et pétillant.
La jeune prof de français commence comme contractuelle, ce personnel non titulaire dont le nombre a augmenté de 47 % en dix ans au sein du système scolaire. « Du jour au lendemain, vous êtes lâchés dans la fosse. Sans formation aucune », témoigne-t-elle, anecdote à l’appui : « Vous n’avez jamais fait de latin ? Qu’importe ! Vous apprendrez en même temps que les élèves ! » lui lance-t-on un jour. « Il n’y a pas à dire, le rectorat a l’esprit d’initiative… et la confiance facile », ironise-t-elle.
Et ne lui dites pas qu’elle n’a que vingt heures de cours hebdomadaires, car elle atteint près de quarante-trois heures de travail effectif chaque semaine, entre la préparation des leçons et la correction des copies. « En partant sur une base de six contrôles trimestriels par matière au collège, le nombre de copies s’élèvera à 180 pour une classe de 30 élèves, calcule-t-elle. On multiplie par le nombre de classes par professeur, en moyenne six, et on obtient un minimum de 1 080 copies à corriger par trimestre ! »
De plus en plus de parents se tournent vers le privé
Copies frappées d’une note qui sera inévitablement contestée, puis négociée par l’élève. « On crie, on menace, on implore, on supplie ! » Et lorsqu’il s’agit de plonger dans une œuvre intégrale, l’enthousiasme de la classe se mesure plus à la taille du livre qu’à son contenu : « Combien de pages ? C’est écrit gros ? Il existe en audio ou en film ? Un film récent ce serait bien ! » Pas étonnant de voir le niveau en orthographe s’effondrer : en trente-cinq ans, le nombre d’erreurs dans une dictée standard effectuée par des élèves de CM2 a presque doublé et, en un siècle, il a plus que triplé.
Malgré cela, « la dictée est devenue un exercice hautement controversé, ne pas en faire est mal vu car il faut bien entraîner les élèves, en faire est mal vu car il ne faut pas les stigmatiser et les décourager. Dans les classes, ce dilemme se traduit par un exercice hybride de dictée aménagée afin de ne pas heurter la sensibilité des plus fragiles », déplore l’enseignante. Mais Ophélie ne se plaint pas : elle a jusqu’à présent échappé à la violence physique, contrairement à ses 220 000 collègues du primaire qui en sont victimes chaque année, ou aux enseignants du second degré qui ont été menacés par une arme (ils étaient 900 en 2012).
La suite après cette publicité
Autant de défis qui pourraient bien expliquer pourquoi de plus en plus de parents se tournent vers l’enseignement privé. « Il semblerait que l’engouement pour le privé soit bien le symptôme d’un public en déshérence, pris à la gorge entre obligation scolaire et injonction à l’universalité, glisse l’auteur qui, malgré tout, refuse de capituler. À travers l’absurde et le ridicule demeure, enfouie dans l’ombre, une petite lueur. L’espoir réside dans les individus et non dans l’énorme machine administrative […] On the road again, réforme après réforme après réforme ! Le professeur est une bête coriace, son cuir est suffisamment épais pour résister aux incessants ordres et contre-ordres. »
Antisèches d’une prof, Ophélie Roque, Les Presses de la Cité, 320 pages, 19,90 euros
Source : Lire Plus