Cannes, centre-ville. Ce samedi matin, une certaine agitation gagne la permanence de David Lisnard. Journalistes, élus et militants vont et viennent, s’interpellent et se saluent, café fumant à la main pour certains, téléphone rivé à l’oreille pour d’autres. Un jour de campagne animé, et pour cause, le maire de Cannes a convoqué la presse pour annoncer le soutien du bassin cannois à Bruno Retailleau, candidat à la présidence des Républicains. Sur l’estrade, les soutiens se succèdent au micro. Tous vantent les « valeurs » et les « convictions » du ministre de l’Intérieur dans ce qu’ils décrivent comme des repères dans un paysage politique éclaté.
Parmi eux, Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, David Konopnicki, député LR et vice-président du département, Alexandra Borchio Fontimp, sénatrice des Alpes-Maritimes, et Henri Leroy, sénateur lui aussi. Les flashs crépitent pour immortaliser le soutien de la famille cannoise rassemblée derrière Bruno Retailleau. « Nous sommes dans une situation de déclassement accéléré qui exige un urgent sursaut régalien. Face à ce constat, il faut une proposition politique très forte, à la fois raisonnable et radicale », lance David Lisnard.
Pour le président de Nouvelle Énergie, Bruno Retailleau est le plus qualifié pour endosser cette ambition, seul « capable de construire et rassembler toute la droite ». Sans jamais mentionner le nom de Laurent Wauquiez, les orateurs décochent leurs flèches contre les approches « claniques et manichéennes », et brossent le portrait d’un Retailleau capable d’allier « rigueur » et « convivialité ». Au milieu des cheveux gris, deux jeunes militants sont venus dire tout le bien qu’ils pensaient de leur candidat : « Depuis qu’il est ministre de l’Intérieur, il affiche des positions fermes sur la sécurité, l’autorité, l’immigration, le narcotrafic », s’enthousiasme Maxime, 21 ans.
Les adhésions remontent en flèche
Celui qui incarne le retour aux affaires d’une droite qui agit plutôt que s’opposer semble avoir réveillé les militants partis à la pêche ou à la plage ces dernières années, comme l’analyse Jean-Pierre Leleux, l’ancien maire de Grasse : « Ce n’est pas un politique au sens classique du terme, de ceux qui promettent tout, parlent beaucoup, mais n’agissent pas. Lui, il fait ce qu’il dit, et dit ce qu’il fait. » Bruno Retailleau fera le déplacement le 23 avril à Cagnes-sur-Mer pour dévoiler les grandes lignes de son programme. Avec l’enjeu de rassembler le plus d’élus possible autour de sa candidature dans cette terre clef de l’élection.
Dans les Alpes-Maritimes, la droite républicaine a pris ses quartiers depuis des décennies et occupe la majorité des mandats électifs. La puissante fédération LR – première en nombre d’adhérents –, si elle ne fait pas l’élection, reflète souvent le rapport de force à l’échelon national. Une sorte de swing-state qui, en 2016, avait par exemple basculé de Sarkozy à Fillon. Gagner les Alpes-Maritimes, c’est gagner le parti en quelque sorte. D’où l’effervescence qui déborde au-delà des murs du parti selon David Konopnicki : « On sent un regain à l’approche du scrutin. Cela ravive l’intérêt pour la famille LR. » Les adhésions remontent en flèche et s’approchent désormais des 5 000, et ça va grimper encore d’ici le 17 avril, date limite d’inscription pour pouvoir voter.
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« Le tournant, ça a été la censure »
Direction Pégomas, paisible commune de l’arrière-pays cannois, terre où Lisnard n’est plus tout-puissant. La permanence de Michèle Tabarot tourne à plein régime. Proche de Laurent Wauquiez, la députée dirige les grandes manœuvres : chaque jour, une poignée de bénévoles font du phoning intensif pour convaincre les militants de renouveler leur carte LR avant le 17 avril. « Le tournant, ça a été la censure. Depuis, on voit les adhésions repartir, les militants ont envie de revenir », raconte Marc entre deux coups de fil, plongé dans ses listings.
Ici, le soutien à Laurent Wauquiez est moins manifeste qu’il ne l’est chez David Lisnard pour Bruno Retailleau. Les bénévoles autour de Michèle Tabarot font aux journalistes une réponse de Normand : « On veut voir leur programme pour le parti avant de se décider », glissent-ils en chœur. Tabarot elle-même joue la prudence, le soutien, mais en mode camouflage : « Pour le moment, je n’ai pas pris position et je me concentre en tant que membre de l’équipe dirigeante sur la reconstruction de notre parti, assure-t-elle. Je m’entends bien avec les deux. Laurent a su recréer un collectif en tant que président de groupe. Je salue son action, aussi bien pour la refondation du parti que dans son rôle à l’Assemblée nationale. Mais je salue également le travail de Bruno. »
Encore un effort ? « Wauquiez a plus de temps aujourd’hui à consacrer au parti. » A voté ! Outre la réunion publique programmée le 11 avril à Antibes autour du maire Jean Leonetti, Michèle Tabarot prévoit d’organiser un événement chez elle, au Cannet, début mai, pour afficher son soutien au grand jour dans la dernière ligne droite.
Soucieuse de l’unité du parti, la députée expérimentée veut néanmoins éviter que les deux camps se déchaînent dans les mots et sur les estrades : « Ne brouillons pas les lignes. Ce n’est pas une primaire présidentielle. Il ne faut pas confondre les échéances. » Une clarification utile dans un territoire qui reste marqué par le départ d’Éric Ciotti, celui qui a ainsi précipité les échéances. Parti mais toujours aussi présent, l’élu aura une influence certaine sur le vote dans le département, sans que personne ne sache à qui cela profitera.
L’ombre de l’UDR
Parmi ceux qui ont rallié son mouvement Union des droites pour la République (UDR), certains ont conservé leur carte LR. S’ils ont renouvelé leur adhésion avant le 1er janvier 2024, ils auront toute légitimité pour voter à la présidence du parti. Éric Ciotti, à ce stade, n’a pas l’intention de se prononcer publiquement pour l’un ou pour l’autre. « Je ne vois pas quel serait son intérêt politique. S’il soutient un candidat et que celui-ci perd, ça montrera qu’il n’a plus d’influence. S’il soutient le vainqueur, ce sera perçu comme une manœuvre hostile au RN pour mettre en orbite un candidat de droite », glisse un cadre de la droite.
Dans le département, tous les ciottistes ne voteront pas. « Je suis ça de près, mais je ne participe pas au vote. Je le laisse à ceux que ça regarde », glisse un ex-LR local passé à l’UDR. Tous ne partagent pas cette réserve. « J’ai beaucoup d’amis à l’UDR. Ils se reconnaissent dans les idées de Retailleau et son attachement à l’autorité de l’État », fait valoir David Konopnicki. Prophétie autoréalisatrice ?
Le député LR de la 7e circonscription, Éric Pauget, proche de Wauquiez mais aussi de Ciotti, dit relayer la parole de nombre de militants historiques : « J’ai fait la campagne de Ciotti quand il était candidat à la présidence des LR. À l’époque, sa candidature visait à préparer le terrain pour Wauquiez ; il ne s’en est d’ailleurs jamais caché. Si les militants sont cohérents, ils devraient suivre cette voie. Je serai là pour le leur rappeler. » Pour lui, Wauquiez a tous les atouts d’un chef dans une famille politique qui a toujours préféré se ranger derrière des hommes de poigne. « On sort d’un traumatisme politique. Wauquiez, c’est celui qui relève la bannière tombée au sol sur un champ de bataille, il a l’étoffe d’un chef », conclut Pauget.
Affectant un certain détachement, Éric Ciotti observe cette « drôle de campagne » sans pression, « cela ne me concerne plus », répondait-il au JDD il y a quelques semaines. Il sera toujours temps de penser à la suite après le 18 mai.
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