La mort du petit Émile, le mystère que demeure son décès, ravive le souvenir du petit Grégory, noyé dans la Vologne il y a quarante ans. Dans le Haut-Vernet comme à Lépanges-sur-Vologne, un enfant est mort. La gendarmerie mène l’enquête. Une famille est soupçonnée. La presse fouille, interroge, commente. L’histoire continue.
Dans l’imaginaire national, dans la conscience collective, qui sait si Émile n’a pas remplacé Grégory. Philippe et Anne Vedovini, les grands-parents maternels d’Émile, ainsi que son oncle et sa tante, ont passé cette semaine près de 48 heures en garde à vue. BFM TV était mardi et mercredi première chaîne info. Du jamais-vu ces dernières semaines. Il est vrai que BFM TV a consacré la quasi-totalité de son antenne à l’affaire. La famille Vedovini a éclipsé la guerre en Ukraine. Envoyés spéciaux dépêchés dans le Haut-Vernet, journalistes en direct de Marseille, éditorialistes à Paris, la chaîne info a joué au Cluedo durant de longues heures avec des hypothèses, des scénarios, des suppositions égrenées par une ribambelle d’inspecteurs Columbo que le secret de l’instruction ne gêne pas.
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À ce sujet, on observera qu’en Angleterre, les médias ont interdiction de révéler quoi que ce soit d’une affaire criminelle sauf à rapporter l’ouverture de l’enquête, la mise en examen et le renvoi devant le tribunal. Comment concilier la liberté d’informer et la présomption d’innocence ? Voici une question posée chaque jour aux journalistes. Et chacun répond selon la loi, selon sa conscience et parfois selon les audiences. Je remarque aussi que certains magistrats utilisent la presse comme une boîte aux lettres du parquet. Ils font passer des infos au mépris du secret de l’instruction qu’a voulu le législateur. Copier l’Angleterre serait une solution. Cela stopperait les velléités de magistrats, greffiers, policiers qui trahissent leur serment. Répétons-le : la France et l’Angleterre diffèrent sur ce sujet.
Un coupable idéal
Le procureur d’Aix-en-Provence, Jean-Luc Blachon, a pris la parole jeudi. Était-il déçu ? Les gardes à vue sont levées sans aveu. La famille Vedovini n’a pas rencontré le juge d’instruction. Les perquisitions, les saisies n’ont rien révélé. « Pour l’instant », croit-on entendre dans la bouche du procureur quand il termine la conférence de presse.
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Je me suis demandé pourquoi les qualifications « homicide volontaire » et « recel de cadavre » étaient dévoilées quand les gendarmes ont interpellé les Vedovini. Un communiqué du procureur diffusé le mardi 25 mars a donné cette précision. Pourquoi ? Dans quel but ? J’ai posé la question plusieurs fois à Philippe Bilger, à Georges Fenech, tous deux anciens magistrats. Sans réponse claire.
Est-ce habituel ? « Cette qualification n’exclut pas l’hypothèse d’un homicide involontaire. Elle a simplement été choisie à la lumière des derniers résultats de l’expertise. À ce stade, il s’agit de la qualification la plus haute », a répondu le procureur jeudi quand il s’est adressé à la presse.
Mais pourquoi désigner un des membres de la famille comme possible meurtrier ou assassin ?
J’entends l’argument judiciaire. Mais pourquoi désigner un des membres de la famille comme possible meurtrier ou assassin ? Si demain les uns et les autres sont mis hors de cause, il restera ce soupçon d’un crime monstrueux que la justice aura distillé.
La presse française semblait tenir un coupable idéal. Philippe Vedovini, le grand-père d’Émile. Pensez donc ! Un catholique ! Un catholique pratiquant ! Un catholique traditionaliste ! Traduisez : un électeur d’extrême droite, pour la presse qui rappelle toujours la religion des Vedovini. Quel rapport avec la mort d’Émile ? Philippe Vedovini est un mâle blanc, circonstance aggravante. On exhume son passage au début des années 1990 dans la communauté des six moines bénédictins de Riaumont, un pensionnat privé hors contrat qui est présenté comme un refuge pour catholiques intégristes.
On moque le couple Anne et Philippe, parents de dix enfants. L’éducation serait stricte derrière les murs de la maison. Au centre-bourg de La Bouilladisse (Bouches-du-Rhône), où Philippe Vedovini a son cabinet d’ostéopathie, le patron du bar-tabac est formel, assure le journal Le Parisien : « On ne le voit jamais ici, ni lui, ni sa femme, ni ses enfants. » Philippe Vedovini n’entre pas dans le bar-tabac. C’est effectivement un élément à charge.
Coupable idéal, vous dis-je. Le procès de l’Église romaine, le procès de l’école privée, le procès de l’éducation à l’ancienne sont instruits. Et même celui des traditionalistes catholiques qui célèbrent la messe en latin. « Il sera compliqué pour Philippe Vedovini de reprendre une vie courante après ces torrents de boue, après avoir été jeté en pâture », a affirmé son avocate Isabelle Colombani. On le devine.
Les commères de village
On reproche à CNews de braquer les projecteurs sur des faits divers. Les attaques au couteau dans les rues de Paris ou de France ne sont pas des actes isolés. Ces crimes deviennent des faits de société quand ils sont répétés.
Émile a disparu le 8 juillet 2023 dans le hameau des Alpes-de-Haute-Provence. Une promeneuse a trouvé son crâne il y a un an à quelques centaines de mètres du Haut-Vernet. Ce drame ne révèle rien de notre époque. Il est un fait divers de tous les temps. Il est commenté ad nauseam.
Les commères du village ont mondialisé le pia-pia avec Internet
Les lecteurs lisent, les auditeurs écoutent, les téléspectateurs regardent. Ils sont, nous sommes « les commères du village », disait Mathieu Bock-Côté à Christine Kelly lors de leur rendez-vous quotidien sur CNews. Chacun y va de son intuition. Le correspondant d’Europe 1 à Marseille Stéphane Burgatt est resté de nombreuses heures mardi et mercredi à attendre la levée des gardes à vue. Il racontait à l’antenne que des automobilistes passaient devant la gendarmerie, baissaient leur vitre et interpellaient les journalistes : « Soyez-en certains ! C’est le grand-père. »
Les commères du village ont mondialisé le pia-pia avec Internet. Parfois le cancan cesse. L’actualité reprend ses droits. CNews est redevenue première chaîne info jeudi et vendredi.
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