Ses proches le reconnaissent, la tension est devenue irrespirable. Alors Marine Le Pen a décidé de prendre le large quelques jours. Fuyant micros et agendas, elle s’est retranchée loin du tumulte pour affronter en silence ce qui pourrait être le plus grand basculement de son existence politique. Ironie du sort : cette décision cruciale ne dépend plus d’elle.
Depuis le coup de tonnerre des réquisitions, qui ont glacé jusqu’aux plus aguerris au Rassemblement national, elle s’est détachée de tout ce qu’elle ne contrôle pas. La balle étant dans le camp des juges, elle s’est concentrée sur ses activités politiques ces dernières semaines : menace de censure contre le gouvernement Bayrou, déplacement au Tchad pour étoffer sa stature présidentielle, offensive sur le nucléaire. Jusqu’à ces trois derniers jours où elle a préféré couper le son et l’image.
Demain, à dix heures, le couperet tombera. Le tribunal correctionnel de Paris rendra sa décision dans l’affaire des assistants parlementaires européens. À l’heure dite, Marine Le Pen saura si elle peut encore prétendre à l’Élysée – ou si la justice stoppe net sa course. Elle risque gros : 300 000 euros d’amende, cinq ans de prison dont deux ferme aménageables, et surtout cinq ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire. C’est là que tout se joue. « Trois scénarios sont sur la table », parie un proche. « L’acquittement ? 1 % de chance. L’inéligibilité sans exécution provisoire ? 95 %. Le dernier : les réquisitions deviennent la peine, et donc l’exécution provisoire s’applique. » Autour d’elle, ils ont tout envisagé, préparé, décortiqué les options. La riposte d’abord. Faut-il aller au 20h de TF1 ? Se contenter d’ un communiqué ? Se taire ? Le choix de la communication dépendra du scénario final. Ne reste qu’à attendre le verdict.
Même si le pire advient, Marine Le Pen ne pliera pas. Ce n’est pas son genre. « Elle a toujours considéré que le combat judiciaire faisait partie du combat politique », confiait Louis Aliot depuis Jérusalem. Elle en a vu d’autres. Mais cette fois, c’est son destin qui vacille. Plus de vingt ans de luttes pour sortir son parti de la marginalité, pour imposer ses idées, pour laver le nom Le Pen. Et tout pourrait s’effondrer en une audience. Autour d’elle, on fait bloc. La cheffe a le cuir épais et une inébranlable foi en sa croisade politique. Assez pour tenir si la justice venait à la frapper d’inéligibilité et barrer l’accès, pour la première fois depuis 1981, d’un Le Pen à la présidentielle.
La favorite du scrutin empêchée ? « Ils ne peuvent pas faire ça. Ce serait un traumatisme électoral, comme le référendum bafoué de 2025 », prédit un fidèle. Et si l’exécution provisoire n’est pas prononcée ? « Alors ce sera un pet de mouche sur une toile cirée. » Car même condamnée, Le Pen pourrait faire appel, aller en cassation — des procédures qui n’aboutiraient sans doute pas avant le scrutin de 2027.
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Dans le scénario de son maintien dans la course, ce serait un immense soulagement pour l’état-major du RN. La machine de guerre électorale pourrait continuer sa marche vers l’Élysée, mètre après mètre. Et les chiffres sont là pour galvaniser les troupes. D’après notre sondage Ifop, Marine Le Pen oscille entre 34 % et 37 % selon les hypothèses : plus de dix points gagnés depuis 2022. Mais ce n’est pas tout. En additionnant les forces de la droite « nationale » — Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan — le bloc grimpe à 45 %. Un niveau jamais atteint. « Il manque 6 points pour gagner, c’est que dalle », tranche un stratège. La réserve de voix est à portée du RN : les 11 % dont est crédité Bruno Retailleau, qui redonne de l’air à la droite. Un souffle dont le RN saura profiter. La stratégie est simple : cap à droite toute. Avec Jordan Bardella en tête de pont pour séduire largement et étendre l’assise du mouvement.
Le RN veut verrouiller sa base, rassurer les fidèles, mais au-delà séduire les hésitants, convertir les derniers réfractaires à l’idée de glisser un bulletin Le Pen. Le plan de bataille est écrit : discours exigeant en faveur des retraités, fermeté absolue sur l’immigration, engagement clair pour l’énergie nucléaire, montée en gamme sur les dossiers économiques, et la poursuite tous azimuts de la normalisation. Certains observateurs considèrent que cette fois, si elle peut concourir, la victoire lui tend les bras. La question clef ne serait plus : Marine Le Pen peut-elle gagner ? Mais : comment pourrait-elle encore perdre ? À moins que, lundi à 10h, les juges ne referment brutalement la porte de l’histoire.
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