Ce lundi 24 mars, une dizaine d’agriculteurs s’activent sur le champ dévasté de Mickael Turpin pour remettre en état les treilles de chouchous tombées à terre. L’agriculteur, installé depuis quinze ans sur le plateau Wickers, havre de paix niché au cœur du cirque de Salazie, a vu sa parcelle de ce légume emblématique de l’île de La Réunion entièrement détruite par le cyclone Garance. Le 28 février dernier, ces pentes verdoyantes et escarpées ont essuyé des vents à plus de 200 km/h ravageant la majorité des cultures. « Cela fait cinq ans que nous subissons catastrophe sur catastrophe », souffle le maraîcher. « J’ai aussi plus de 70 % de pertes de bananes. Et j’ai encore une parcelle que je n’ai pas eu le courage d’aller voir », déplore-t-il.
Le cirque de Salazie, joyau de l’île de La Réunion qui abrite le seul village d’Outre-mer classé parmi les « plus beaux villages de France », Hell-Bourg, n’avait pas connu de cyclone aussi dévastateur depuis cinquante ans. Toits arrachés, arbres et bambous couchés : « Nous n’avions jamais vu ça. Ici, cinq maisons ont été totalement détruites », se désole la maire de Salazie, Sidoleine Papaya.
Au lendemain du cyclone, les urgences sont nombreuses, mais pour l’agriculture, activité principale du cirque qui nourrit l’ensemble de l’île, le constat est alarmant : « À Hell-Bourg, nous avons une perte totale, et à Salazie, c’est 70 % de pertes. » Sur l’exploitation de Mickael Turpin, le manque à gagner est estimé à 50 000 euros : « Je perds la plus grosse production de l’année : mars, avril, mai, juin, ce sont les mois les plus importants. » Au total, selon la Chambre d’agriculture de La Réunion, l’île comptabilise 163 millions de pertes. Des milliers d’hectares de champs de bananes, d’ananas ou de litchis dévastés et une filière de la canne à sucre particulièrement affectée avec des pertes estimées à 80 millions d’euros.
Le sentiment de découragement est immense pour l’ensemble des agriculteurs réunionnais déjà éprouvés par le cyclone Belal l’année dernière et par une sécheresse historique ces derniers mois. À Salazie, le mois de janvier 2025 a été le plus sec jamais enregistré depuis cinquante-quatre ans. « Nous avons tout eu : la sécheresse, les cyclones, la mouche des fruits [un parasite qui détruit les cultures, NDLR] », s’exaspère Pascal Grondin, président de l’Association de défense des intérêts des agriculteurs de Salazie, qui s’inquiète pour l’avenir d’une profession devenue peu attractive.
« Après les catastrophes, il faut repartir de zéro, c’est décourageant »
« Je me suis posé la question d’arrêter plusieurs fois. Après les catastrophes, il faut repartir de zéro, c’est décourageant », souffle Mickael Turpin, qui devra vivre sans salaire pendant au moins cinq mois. « L’année dernière, plusieurs agriculteurs ont fait une demande de RSA suite à la sécheresse, d’autres ont demandé des colis alimentaires », souligne Sidoleine Papaya.
La suite après cette publicité
Face à ce désastre, le ministre des Outre-mer Manuel Valls s’est rendu à Hell-Bourg, le 7 mars dernier, promettant un fond exceptionnel d’indemnisation versé dans les trois mois à venir. « Il doit tenir sa promesse, les agriculteurs ne peuvent pas attendre. Nous voulons des aides rapides pour pouvoir continuer à vivre et à produire », prévient Pascal Grondin. « C’est maintenant que les exploitations sont productives : la nature est un cycle biologique avec une horloge. C’est pour cela que les aides sont urgentes », abonde un membre du Groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) de Salazie.
La profession demande également une simplification des dossiers administratifs et une modification des calculs d’indemnisation : « Les aides de l’État s’appuient sur l’année précédente mais si elle était déjà négative par rapport à une catastrophe, l’aide ne correspond pas à ce que vaut l’exploitation », explique Mickael Turpin, qui se désole : « L’année dernière, j’ai perdu 40 000 euros à cause du cyclone Belal et j’ai eu 5 000 euros d’aides. Ça n’a même pas couvert les charges. »
Cette semaine, une dizaine d’agriculteurs se sont réunis devant le conseil départemental pour demander des « actions concrètes » pour relancer l’agriculture. L’île, qui vise la souveraineté alimentaire, craint désormais une dépendance accrue aux importations et une explosion des prix. « Pour la première fois, j’ai vu des chouchous de Madagascar à La Réunion », constate Pascal Grondin. L’agriculteur regrette un manque de vision à long terme dû à un manque de considération : « Les aides d’urgence sont nécessaires mais il faut un réel investissement et travailler collectivement. Nous ne voulons pas des aides, nous voulons simplement vivre de notre travail. »
Manuel Valls est attendu à La Réunion début avril. « Nous serons au rendez-vous des attentes », avait-il promis il y a un mois. C’est peu dire que sa venue sera scrutée.
Source : Lire Plus