
En ce 31 mars 2025 aurait dû être détruit un stock de plus de 10 000 embryons humains, en application de la loi de bioéthique de 2021 qui a mis fin à l’anonymat des donneurs de gamètes. Il ne l’a pas été.
Devant une mobilisation populaire qu’il n’avait visiblement pas prévue, le gouvernement a été confronté à un choix difficile. Appliquer la loi en détruisant tous les embryons obtenus avec des gamètes « de l’ancien régime », pour lesquelles l’anonymat du donneur était garanti ? Céder aux requêtes des parents et des médecins en laissant vivre ces embryons, au mépris de la loi et au risque de créer des situations d’inégalité juridique (sur deux enfants nés par PMA le même jour, l’un pourra avoir accès à ses origines et l’autre non) ?
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En somme, cette situation ubuesque confrontait le gouvernement à la question que Jérôme Lejeune posait aux scientifiques de l’American Society of Human Genetics, réunis en 1969 à San Francisco pour lui décerner la plus haute distinction en génétique, le William Allen Memorial Award : « To kill or not to kill ? That is the question. » Il s’agissait alors de la possibilité, débattue par ces scientifiques, de condamner à mort, pour raison médicale, un enfant à naître (l’interruption volontaire de grossesse, sans maladie de l’enfant, n’étant pas encore à l’agenda).
En osant poser cette question au monde scientifique, Jérôme Lejeune le mettait devant sa responsabilité historique et acceptait l’ostracisation qui devait en découler. Le soir même, il écrivait à son épouse : « Aujourd’hui, j’ai perdu mon prix Nobel. »
En assumant d’être confronté à cette question, le gouvernement français a peut-être aussi perdu un peu de sa crédibilité. C’est en effet une question qui dérange…
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L’industrialisation de la procréation ne peut engendrer que des conflits et des souffrances
Tout du moins, l’édifice juridique de la « bioéthique à la française » érigé depuis 30 ans a vu s’ouvrir une première fissure, puisqu’un mouvement populaire dénonçant une « atteinte grave à la bioéthique » a contraint les pouvoirs publics à renoncer à son application. C’est peut-être la première leçon à retenir de cet évènement : une prise de conscience que, dans le domaine médical comme ailleurs, ce qui est légal n’est pas forcément ce qui est réellement éthique.
La deuxième leçon peut être tirée en analysant les motifs invoqués par les protestataires contre l’application de cette loi. La plupart ont certes pris grand soin de souligner que le problème n’était pas la destruction des embryons en tant que telle, mais le fait de contredire le tout-puissant désir des parents : « cette décision inacceptable, arbitraire et injuste ne respecte {pas} les projets parentaux », s’exclame la BAMP. C’est vrai qu’il eût été délicat, pour les médecins et les parents concernés par l’AMP, d’invoquer d’autres arguments, puisque cette industrie de la procréation a nécessairement recours à la destruction des embryons surnuméraires. Mais ci et là, on entend quelques aveux : « On parle d’être humains en devenir ! J’ai l’impression qu’on va tuer les frères et sœurs potentiels de mon bébé… », lâche Florence, 39 ans, dans les pages du Parisien. Cette deuxième leçon est consolante : sous l’étau du bioéthiquement correct, il reste l’intuition, même fragile, que des vies humaines sont en jeu.
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Si l’évolution des lois de bioéthique a mené à la situation rocambolesque du mois dernier, c’est que la PMA est par essence irrespectueuse de la dignité de la vie humaine. Celle-ci ne dépend pas du stade de son développement. Il est certes vertigineux d’observer la vie humaine à ses débuts si fragiles, et légitime de s’interroger devant elle. Mais notre société qui s’éprend de principe de précaution et d’écologie ne pourrait-elle pas commencer par l’appliquer à la vie humaine en faisant, devant le mystère de ses origines, le choix d’un respect inconditionnel ? Au contraire, l’industrialisation de la procréation ne peut engendrer que des conflits et des souffrances. C’est la troisième leçon à tirer de cet évènement.
Ironie de l’actualité, la destruction de stocks d’embryons était aussi à l’ordre du jour de l’ONU ces dernières semaines : la Commission internationale indépendante d’enquête sur le territoire palestinien occupé a qualifié la destruction par Israël d’une clinique de fécondation in vitro, qui conservait des milliers d’embryons, d’ « acte génocidaire »…
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