Rien ne semblait les destiner à se rencontrer. Rena, jolie Brésilienne au teint cuivré, a grandi dans une favela de Salvador de Bahia, un univers marqué par la pauvreté, la violence, le trafic de drogue et la prostitution. Héritier d’une lignée aristocratique française, Romain a vécu dans un cadre privilégié où il n’a jamais manqué de rien.
Dans les ruelles étroites et poussiéreuses, où les maisons de fortune s’entassent les unes sur les autres et où rôde le danger, l’avenir de Rena semblait tout tracé. Un grand vide intérieur l’habitait depuis l’enfance. « J’étais malheureuse, sans joie. Face à tant de misère, je me demandais pourquoi j’étais venue au monde et ce qui pourrait donner un sens à ma vie », se souvient-elle. Jusqu’au jour où, à 17 ans, elle ouvre une bible. Ses yeux se posent au hasard sur le récit de la Passion du Christ, ce moment où Jésus endure souffrances et humiliations jusqu’à la crucifixion, par amour pour l’humanité. « Ce fut un déclic, témoigne-t-elle. J’ai compris que j’étais profondément aimée par Lui, alors que je n’étais qu’une fille de la favela. J’avais enfin trouvé la réponse que je cherchais : j’étais venue au monde pour répondre à cet amour, pour donner ma vie en retour. »
Compassion et évangélisation
À des milliers de kilomètres, Romain s’interroge lui aussi, envahi par un sentiment diffus d’insatisfaction. Étudiant en architecture, il profite d’un échange universitaire pour partir au Chili. De là-bas, il rejoint Salvador de Bahia, afin de rendre visite à un prêtre, ami de ses parents, qui vient d’y être nommé.
« Le bonheur que tu recherches, c’est au service des pauvres que tu le trouveras »
Un Vendredi saint, comme le veut la tradition dans certains pays d’Amérique latine, il accepte de jouer le rôle du Christ dans une reconstitution du Chemin de croix. Après la procession, une religieuse lui demande de porter un médicament à un vieil homme malade. « Ricardo était allongé sur son lit, raconte-t-il. À un moment, il m’a parlé de son fils unique, tué par une balle perdue dans le trafic de drogue. Il a éclaté en sanglots. J’avais 21 ans et, en séchant les larmes sur son visage, une phrase a résonné en moi comme une évidence : “Le bonheur que tu recherches, c’est au service des pauvres que tu le trouveras.” » Au sein de la communauté missionnaire, son chemin croise celui de Rena. Épris l’un de l’autre, ils choisissent de fonder une famille engagée auprès des plus fragiles et s’unissent dans la simplicité de la petite église de la favela.
Vie itinérante
À peine mariés, Romain et Rena rejoignent Fidesco, une ONG qui envoie des volontaires auprès des populations vulnérables. Leur première mission les conduit aux États-Unis, dans un ghetto d’Atlanta. En lien avec l’église locale, ils assurent du soutien scolaire et s’investissent dans les dispensaires. Puis, à la demande des évêques d’Amérique latine, ils partent sillonner le continent avec leurs enfants, vivant à bord d’un bus scolaire aménagé en maison. « Nous allions dans les coins les plus reculés, les plus pauvres et souvent aussi les plus violents pour agir concrètement auprès des nécessiteux et partager le message de l’Évangile », explique Romain. Après six années de cette vie itinérante, la famille pose ses valises à la Pincoya, au nord de Santiago, l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale chilienne. « L’équivalent du Bronx à New York », précise Rena. Nous sommes en 2013. C’est à ce moment-là qu’ils fondent Misericordia, une association au service des habitants des quartiers défavorisés.
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« Nous avons pour habitude de dire que nous faisons des choses ordinaires avec un amour extraordinaire »
« Notre mission repose sur deux piliers, la compassion et l’évangélisation, à travers des actions concrètes : aide aux familles en détresse, accompagnement des personnes âgées isolées, des toxicomanes et des alcooliques, patronages pour les enfants. Nous avons pour habitude de dire que nous faisons des choses ordinaires avec un amour extraordinaire », détaille la jeune femme. Étudiants en année de césure, jeunes actifs, couples ou familles : l’association s’appuie sur l’engagement de volontaires prêts à consacrer plusieurs mois, voire quelques années, à la mission. Après Santiago du Chili, Misericordia essaime à New York, dans le Bronx, à Buenos Aires, dans le quartier de La Rana, avant de s’implanter récemment à Aubervilliers, en région parisienne.
France, terre de mission
À l’origine, Romain et Rena n’avaient pas envisagé la France comme terre de mission. L’idée a germé chez de jeunes volontaires français venus leur prêter main-forte au Chili : « Ce que nous y avons vécu est parfaitement transposable ici », ont-ils plaidé. Misericordia s’est installée à Saint-Paul du Montfort, une paroisse en quête d’un nouveau souffle, autrefois animée par des prêtres ouvriers. Fidèles à leur méthode, les volontaires ont commencé par s’occuper des enfants. « C’est souvent par eux qu’on entre en lien avec les parents, les mamans seules, les grands-parents. Les inscriptions au patronage affluent. L’antenne s’occupe actuellement de 450 familles », commente Rena.
Face à l’ampleur des besoins et à l’accueil grandissant réservé à leur mission par les habitants du quartier, Misericordia s’apprête à franchir une nouvelle étape : la construction d’un centre de 1 000 mètres carrés en lien avec l’évêque de Saint-Denis. « Aubervilliers est un quartier populaire à 40 % musulman, qui porte aussi l’héritage des vagues d’immigration italienne et portugaise. Il y a là un terrain propice pour une mission à la fois sociale et ecclésiale, justifie Romain. Parmi les musulmans, il y a ceux qui sont pratiquants, avec qui nous entretenons un véritable dialogue interreligieux, et ceux qui sont de culture musulmane mais éloignés de la pratique, poursuit-il. Lorsqu’ils viennent inscrire leurs enfants au patronage, on leur explique clairement que c’est un lieu catholique, que l’enfant entendra parler de Jésus, ira au catéchisme, et qu’il pourra, peut-être, demander le baptême. Et ils sont à l’aise avec ça. On sent une vraie soif, un désir de découvrir. » Certains viennent parfois frapper à la porte de l’église après avoir rêvé du Christ ou de la Vierge. « Ce sont des cheminements discrets, souvent silencieux, mais profonds. L’Église doit être présente pour les accompagner », souligne Romain.
Pour Rena et Romain, ces rencontres inattendues sont autant d’appels à agir. « On n’invite pas forcément à tout quitter ou à partir en mission, conclut Rena. Ce qu’on propose, c’est de cultiver, chacun à sa place, une culture de la miséricorde. D’oser poser un pas, puis un autre, en faisant des petites choses, avec un grand amour. »
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