Comme un air de déjà-vu. Seize ans après un premier débat sur l’identité nationale dans les préfectures, en voici un second dans les « conventions citoyennes décentralisées ». François Bayrou a lancé l’idée au lendemain de l’adoption des députés d’une proposition de loi visant à durcir les restrictions au droit du sol à Mayotte. Ces échanges seront l’occasion, a-t-il précisé, d’apprendre « à confronter des arguments sans s’insulter ». Dans un entretien au Figaro, il a ajouté : « Qu’est-ce qu’être français ? C’est une question qui taraude notre temps. Et permettez-moi de vous le dire, c’est une question pour ceux qui naissent français autant que pour ceux qui nous rejoignent ».
Le chef du gouvernement s’exprimera « tout début avril » sur le sujet selon la porte-parole du gouvernement Sophie Primas. « Aujourd’hui, le Premier ministre est en train de travailler sur les modalités de ce débat […] Il choisira bien l’endroit où sera faite cette déclaration », a-t-elle précisé sur Public Sénat ce mercredi. Comment interpréter ce nouveau cap choisi par François Bayrou ? Le même qui déclarait en 2009, lors du précédent débat à ce sujet : « L’identité nationale n’appartient pas aux politiques […] Rien n’est pire que d’en faire un sujet d’affrontement politique […] Et encore pire d’en faire une utilisation partisane ». Autre temps, autres mœurs.
« Il ne faut surtout pas cacher un débat que les Français veulent avoir »
« Cette idée est dangereuse, explosive et politiquement risquée mais nécessaire car on a besoin de refaire nation », affirme au JDD le député MoDem Richard Ramos. « Il ne faut surtout pas cacher un débat que les Français veulent avoir et on ne doit pas laisser à Marine Le Pen le monopole de la définition de l’identité nationale », poursuit l’élu du Loiret. Même si le sujet fracture à nouveau le bloc central ? À l’image de la loi immigration en 2023 qu’un quart des députés macronistes n’avait pas votée et qui avait provoqué la démission du ministre de la Santé Aurélien Rousseau. « C’est justement la méthode Bayrou : arriver à trouver des consensus là où des gens ne pensent pas la même chose », réplique le secrétaire général adjoint du Mouvement Démocrate. Et d’assener : « S’il n’y arrive pas, il sautera comme un bouchon de champagne ».
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Au sein du Socle commun, certains sont toutefois plus mesurés. « Le débat peut avoir un intérêt pour remettre les problématiques liées à l’immigration en avant. Mais les Français attendent surtout des mesures fortes », assure le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse. En outre, cette séquence lui rappelle le débat lancé par Nicolas Sarkozy en 2009. Quand Éric Besson, chargé de sa mise en place, avait été débarqué du ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale quelques mois plus tard, le poste lui avait alors été proposé par l’ancien chef d’État. « J’avais mis de sérieuses réserves et je n’y étais pas allé », se remémore-t-il au JDD. « Tout ce qui se rapporte aux conclaves, conventions citoyennes ou grands débats ne changent jamais le fond des problèmes », ajoute l’ancien ministre de la Jeunesse.
Ce futur débat pourrait-il être à la droite ce que le conclave des retraites a été à la gauche ? Un prétexte pour François Bayrou visant à gagner du temps en mettant en avant le thème favori du Rassemblement national… Et ainsi éviter une motion de censure à court terme. Le Premier ministre joue en centriste : un coup à gauche, un coup à droite. La carte de l’identité nationale donnerait ainsi des gages au parti qui réclame l’organisation d’un référendum sur l’immigration et le droit du sol. Mais pas sûr que cela suffise. « On n’en peut plus des débats, on veut du concret », grince auprès du JDD le député RN Jean-Philippe Tanguy.
De son côté, le Parti socialiste ne semble pas avoir fixé de ligne claire. Début mars, Olivier Faure assurait être intéressé par le débat. « Parfois il faut savoir prendre son risque », avait-il estimé sur BFMTV, tout en rappelant que lorsque Nicolas Sarkozy avait lancé le sien, « la gauche avait considéré que c’était un piège ». Le patron du parti à la rose indiquait alors vouloir « affronter frontalement » la « position passéiste » et « rance » portée par les membres du gouvernement comme Bruno Retailleau à l’Intérieur et Gérald Darmanin à la Justice.
Je crains que ce soit du bluff et de l’esbroufe
Paul Christophle, député PS
Au JDD, le député du Parti socialiste Paul Christophle affirme cependant le contraire : « Nous ne voulons pas entrer dans ce débat à cause du contexte posé par la droite, notamment quand elle parle de submersion migratoire ou souhaite durcir le droit du sol ». Le premier secrétaire fédéral du PS de la Drôme assure que son parti « n’a pas peur de l’identité nationale » mais ne souhaite pas en discuter « quand elle sert à opposer et diviser ». L’élu se dit également perplexe sur le format employé par le Premier ministre : « Jusqu’ici, les conventions citoyennes avaient pour but d’abreuver le Parlement de mesures législatives. Cette fois-ci, je crains que ce soit du bluff et de l’esbroufe ».
« François Bayrou répète de longue date qu’il y a un mur de verre entre les citoyens et les élites. Les conventions citoyennes sont justement un moyen d’y répondre », défend de son côté le député MoDem Richard Ramos. « Je pense qu’il y aura ensuite plusieurs textes à l’ordre du jour, notamment sur l’immigration. Ça ne sera pas le grand soir, mais ça permettra de répondre à certaines problématiques concrètes », ajoute-t-il. Ce serait tout l’objectif de François Bayrou : relancer un débat sur un sujet passionné tout en aboutissant à des mesures significatives. La seule décision de Nicolas Sarkozy de mettre des drapeaux tricolores aux portes des mairies n’avait pas suffi pour empêcher le Front National de reprendre sa progression aux régionales de 2010… Et à l’UMP d’enregistrer un très mauvais score.
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