
Boualem Sansal est un prophète. Il vit depuis quatre mois le cauchemar totalitaire qu’il avait annoncé dans 2084, grand prix du roman de l’Académie française. Son procès impromptu et en catimini, dans une modeste salle du tribunal de Dar El Beida dans la banlieue d’Alger, expédié en 20 minutes, sans avocat pour le défendre, sans traducteur alors qu’il ne parle ni l’arabe ni le dialectal, est digne de l’Abistan, l’empire décrit dans 2084. Le juge l’interroge sur les moqueries contre le régime que la police a trouvées en fouillant ses SMS. Sur son amitié pour un ambassadeur français, lui qui est un écrivain français. Voilà les atteintes à l’unité, la sécurité, l’économie nationales qu’on lui reproche. Le procureur réclame dix ans de prison.
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Comité de la santé morale
Dans la salle, un journaliste du quotidien officieux des Frères musulmans fait sa besogne. Il loue la bonne mine du détenu qui a 80 ans et souffre d’un cancer. Elle prouve qu’il n’a pas été soumis à des pressions pendant sa détention. Il se félicite que l’accusé soit calme et qu’il ait reconnu les faits, de voir le juge patient, le procureur énergique, le procès équitable. Il conclut : « la Justice algérienne a élevé l’étendard de la Liberté ! »
Dans 2084, le mensonge est la vérité. Un Comité de la santé morale se charge de l’imposer. Un ministère des Archives, des Livres sacrés et des Mémoires saintes s’occupe de trafiquer l’histoire et de rendre le peuple amnésique. C’est dans ce monde que végète le chroniqueur judiciaire au tribunal de Dar el Beida.
Le régime algérien a besoin d’ennemis à haïr et réclame le scalp de Bruno Retailleau
Il n’est pas le seul à vivre en Abistan, où la logique, c’est l’absurde. Quand Emmanuel Macron s’exprime enfin sur le sort de Boualem Sensal, il commence par dire : « J’ai confiance dans le président Tebboune et sa clairvoyance ». Un mensonge au carré : ils se méprisent. Boualem Sansal est un otage aux oubliettes parce qu’Emmanuel Macron lui a donné la nationalité française et qu’Alger a voulu se venger du président qui a reconnu les droits du Maroc sur le Sahara occidental.
En réponse, Abdelmadjid Tebboune a dénoncé le capharnaüm politique en France. Il n’aurait qu’un seul repère, son homologue. Les problèmes devront être réglés par ceux que les présidents désigneront. Traduction : le capharnaüm s’appelle Bruno Retailleau. Le régime algérien a besoin d’ennemis à haïr et réclame le scalp du ministre de l’Intérieur qui a l’outrecuidance de renvoyer d’où ils viennent les OQTF.
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L’intermédiaire
La « personne désignée » est le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Attaf. Son interlocuteur sera donc Jean-Noël Barrot. Cela tombe bien, il ne connaît rien à l’Algérie. À lui d’apprendre à négocier avec des gens qui exigent des excuses. Des professionnels formés à l’école soviétique.
On comprend mieux pourquoi Jean-Noël Barrot est allé rompre le jeûne du Ramadan à la Grande Mosquée de Paris. Il peut sembler incongru qu’un ministre chargé notamment d’expliquer la laïcité au reste de la planète se prête à ce genre de cérémonies. Personne ne l’imagine à la veillée pascale. Mais l’Algérie a deux ambassades à Paris. Une qui boude, privée d’ambassadeur. Une officieuse, la Grande Mosquée. Le recteur Chems-Eddine Hafiz présidait le comité de soutien au président Tebboune, réélu avec 94,6 % des voix, dans des conditions qui font rire du fond de l’Afrique jusqu’au Kremlin.
Dans toute prise d’otages, il faut un intermédiaire. On connaîtra la rançon une fois Boualem Sansal en lieu sûr. Les visas, les accords de 68, le business halal de la Grande Mosquée, les passeports diplomatiques de complaisance, l’abandon de la résidence des Oliviers à Alger ? L’embarras du choix laisse de quoi négocier jusqu’en 2084.
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