«Nous voulons protéger la paix en Europe et ainsi dissuader quiconque de nous attaquer », a déclaré le président français la semaine dernière lors du Conseil européen des 20 et 21 mars. Après des années d’atermoiements, durant lesquelles la menace russe a été sous-estimée, du moins en Europe occidentale, cette prise de conscience ne peut qu’être saluée. Macron souhaite porter les dépenses de défense à 3 ou 3,5 % du PIB du pays, contre 2,1 % actuellement.
Mais la posture de Macron face à la menace russe eût été plus crédible si elle n’avait pas été précédée de commentaires naïfs frôlant la lâcheté à l’égard d’un autre régime hostile, plus proche de la France et dont le PIB par habitant est moitié moindre que celui de la Russie de Poutine : l’Algérie.
« Retailleau n’avait pas prévu que Macron saboterait la position du gouvernement »
Pendant plusieurs années, le gouvernement algérien a défié la France en refusant de reprendre ses criminels et ses ressortissants en situation irrégulière. Le régime algérien a agi ainsi tout en harcelant ses opposants les plus en vue sur le sol français : l’une des cibles fut l’écrivain Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024, l’une des distinctions littéraires les plus prestigieuses en France, victime d’une longue campagne de diffamation orchestrée à la demande de l’Algérie parce qu’il a relaté la Décennie noire tout en critiquant durement le régime algérien et les islamistes, qui avaient failli remporter les élections législatives algériennes de 1991 avant leur interruption par l’armée.
Faire « confiance » à Tebboune, vraiment ?
Pendant ce temps, en Algérie, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, connu pour ses critiques des dictatures arabes et de l’islam, croupit dans une cellule. Interrogé sur le sort de Boualem Sansal le 20 mars à Bruxelles, Macron a déclaré : « J’ai confiance en le président Tebboune et en son discernement pour savoir que tout cela n’est pas sérieux et que nous avons affaire à un grand écrivain qui, de surcroît, est malade. » Macron pense-t-il vraiment que l’on peut faire confiance au régime algérien ?
L’attaque islamiste de Mulhouse le 22 février, qui a fait un mort et sept blessés, a été perpétrée par un Algérien que la France avait tenté d’expulser quatorze fois, en vain, face au refus de son pays d’origine de coopérer. Ce fiasco a conduit le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, à durcir sa position : « Il n’y aurait pas eu d’attaque à Mulhouse si l’Algérie avait respecté le droit et ses obligations », a-t-il déclaré, plaidant pour un « rapport de force » avec la dictature de Tebboune.
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Mais Retailleau n’avait pas prévu que Macron saboterait la position du gouvernement en excluant toute mesure de rétorsion, notamment sur les questions migratoires. « Les choses sont bien faites quand elles sont faites avec rigueur, mais elles ne doivent pas devenir l’objet de jeux politiques, où qu’ils soient. Elles doivent être faites avec ce que nos pays méritent : un sens de la réalité et une culture du résultat », avait averti Macron depuis le Portugal le 28 février.
Les Algériens sont surreprésentés dans les prisons françaises. Ils représentent 20 % des étrangers incarcérés en France. A l’instar des minorités issues du monde arabo-musulman, ils ont plus rétifs aux valeurs françaises. De nombreuses études sociologiques et sondages montrent, par exemple, que les musulmans français sont bien plus sensibles que la moyenne aux préjugés misogynes, antisémites et homophobes, et plus enclins à tolérer la violence contre les civils.
De plus, les descendants de l’immigration maghrébine persistent dans l’endogamie, même à la deuxième génération, contrairement aux descendants de l’immigration européenne, de l’ancienne Indochine française ou afro-chrétienne, qui sont bien plus ouverts aux relations avec les Français de souche. Pourtant, les Algériens bénéficient d’un traitement favorable pour leur résidence en France, en raison d’une culpabilité coloniale mal placée. Ils constituent aujourd’hui le groupe d’immigrants le plus nombreux en France.
Hostilité à l’égard de la France
Officiellement, le refus de Macron d’entrer en confrontation avec le gouvernement algérien est motivé par un désir d’apaisement : « Des millions de Français sont nés de parents algériens, sont parfois binationaux. Ils n’ont rien à voir avec ces débats et vivent en paix, en adhérant aux valeurs de la République. […] Eux aussi ont droit à une vie tranquille », a déclaré le président lors d’une conférence de presse après l’attaque de Mulhouse. Mais apaiser le gouvernement brutal de l’Algérie ne fait pas grand-chose pour aider ceux qui vivent en exil.
Le 3 mars, Le Figaro rapportait que l’entourage de Macron « craint surtout les réactions de la diaspora algérienne en France, qui pourrait “tout faire capoter”, reprenant les déclarations violentes publiées sur les réseaux sociaux par des influenceurs fidèles au régime d’Alger ». En d’autres termes, Macron choisit la capitulation face à un régime qui alimente sa francophobie au point de restaurer, deux ans plus tôt, un couplet anti-français dans son hymne national, tombé en désuétude. Cette réinstauration fait suite à un décret de 2023 de Tebboune élargissant les circonstances dans lesquelles l’hymne national algérien doit être joué en intégralité, y compris le troisième couplet qui dit : « Ô France, le temps des reproches est terminé, et nous l’avons clos comme on ferme un livre ; Ô France, voici le jour du règlement de comptes, alors prépare-toi à recevoir notre réponse ! Dans notre révolution s’achève le temps des paroles creuses ; nous sommes déterminés à ce que l’Algérie vive, soyez-en témoins. »
« Ceux qui se montrent intransigeants face à l’ogre russe mais reculent devant des ennemis de l’intérieur ne sont pas crédibles »
Une récente publiée dans Le Monde, signée par des personnalités comme le mathématicien Cédric Villani et l’historien Benjamin Stora, spécialiste de l’Algérie, déplorait que la diaspora franco-algérienne en France n’ait jamais vraiment eu voix au chapitre. « Ballottée au gré des circonstances, au rythme des circonvolutions d’une relation qui n’a jamais été simple, elle a toujours cherché sa place, sans vraiment la trouver », ont écrit les auteurs. Pris entre les exigences légitimes d’une république libérale et les manœuvres d’une dictature incapable de construire une société viable en soixante ans d’indépendance, ils seraient tiraillés. Il ne vient pas à l’esprit des prétendus défenseurs de l’Algérie que, si cela est vrai, cela déshonorerait les concernés en validant les inquiétudes de ceux qui craignent une population à la loyauté incertaine.
Mais quel lien y a-t-il entre l’immigration algérienne et la menace russe, au-delà des nombreux rapprochements entre l’Algérie et la Russie ? La présence sur son sol d’une population plus résistante que la moyenne aux valeurs démocratiques compromet la capacité de la France à défendre ses intérêts vitaux, tant sur le plan intérieur qu’international. Est-il besoin de préciser que les pays qui se laissent ronger de l’intérieur au point de jeter leurs ressortissants captifs sous le bus ne sont pas les mieux placés pour défendre une nation amie contre l’impérialisme russe ?
Ni l’OTAN, ni l’Europe, ni l’Ukraine n’ont intérêt à voir la France, puissance nucléaire et pilier de l’alliance occidentale, se noyer dans un islam qui anéantirait sa capacité à défendre les principes libéraux – des principes qui s’effacent sur le plan intérieur – sur la scène internationale. Cette observation s’applique également au Royaume-Uni. Ceux qui se montrent intransigeants face à l’ogre russe mais reculent devant des ennemis de l’intérieur plus dangereux ne sont pas crédibles. Ils ne font que rejouer le scénario antique de la prise de l’Orient, profitant de l’affaiblissement de Byzance et de la Perse par leurs conflits, au point de négliger les fronts qui ont scellé leur perte.
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