
Je relisais récemment les carnets de Franz-Olivier Giesbert. Je sais, relire passe aujourd’hui pour un terme pédant. Pour paraphraser Proudhon, en littérature, qui dit relire ment. Mais je jure ne pas mentir. J’ai d’abord lu ses biographies. Celles de Mitterrand, de Chirac. C’était celles d’hommes plus grands que nature, qu’il avait côtoyés, dont il était généralement devenu ami – savaient-ils qu’ils serviraient de chair à littérature ? Puis je me suis jeté sur ses carnets qu’il publiait régulièrement.
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Je pense notamment au Vieil Homme et la mort et à La Tragédie du président. Sa méthode, je crois, a toujours été la même : FOG fréquente les politiques. Et, puisqu’il est d’un charisme exceptionnel, il attire leurs confessions, qu’ils retrouveront un jour dans un livre, et feront alors semblant d’être étonnés, en surjouant l’indignation. Pourtant, ils viennent enfin, grâce à lui, de sortir du néant. À sa manière, FOG écrit sa comédie humaine. Et dans ses trois derniers livres, son Histoire intime de la Ve République, le chroniqueur du dernier siècle se fait désormais historien de son pays. Tous s’y retrouvent depuis de Gaulle, les petits et les grands, qui se sont produits sur ce grand théâtre des passions humaines qu’est la politique.
Les passions plutôt que les idées
Une chose m’a toujours frappé chez FOG : il n’aborde pas vraiment les politiques par le prisme des idées. D’ailleurs, les politiques en changent sans arrêt et peuvent dire une chose le lundi et une autre le mardi, sans avoir l’impression de se renier, car ils ne croyaient pas davantage ce qu’ils disaient le premier jour que le second. FOG se passionne plutôt pour les caractères, les tempéraments, les passions. Chez un homme, il scrute d’abord le physique, les tics, les envies, les manières à table, la façon de converser, la manière de penser.
Il est persuadé, ainsi, d’arriver bien plus près de la vérité de la bête humaine et des sociétés. Évidemment, pour cela, il exaspère les idéologues et ceux qui voudraient que le monde soit cohérent comme une doctrine élaborée par un théoricien dans son cabinet de travail. À la différence aussi des journalistes politiques qui veulent à tout prix nous raconter les ragots insignifiants qui circulent dans les coulisses, FOG nous raconte l’histoire de l’homme éternel qui se dépatouille dans un monde qui lui échappe et absolutise des querelles insignifiantes pour passer le temps. De ce point de vue, ses écrits politiques rejoignent ses romans, auxquels je suis venu plus tardivement, qui m’ont bouleversé aussi.
Les fauves et les buveurs d’eau
Si je parle de lui aujourd’hui, c’est par effet de contraste. Je fréquente, c’est mon travail, beaucoup les hommes politiques – des deux côtés de l’Atlantique. Il y en a d’excellents mais ils ne sont pas la norme. La plupart sont fades, incultes, et parlent comme leur disent de parler des communicants, incultes eux aussi. On ne les sent pas vivants. La vie, chez eux, ne déborde pas. Leur vie ressemble à un perpétuel Dry January. Ce sont des buveurs d’eau. La simple idée de transformer leur existence en aventure leur est étrangère. Ils célèbrent la transparence et vomissent l’idée d’un jardin secret parce qu’ils n’ont rien à cacher, les pauvres. Il n’y a pas chez eux de part dont ils ne savent que faire.
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Notre FOG, qui a fréquenté les grands fauves, les regarde probablement en refoulant difficilement un bâillement. Je l’imagine pourtant scruter la nouvelle génération de politiques et d’écrivains, à la recherche des jeunes talents exceptionnels. Il les rencontre dans une de ses cantines, discute avec eux, leur donne leur chance. Certes, on le dit un peu filou, et je crois que c’est vrai. C’est aussi pour cela que je l’aime. Parce que ce joyeux de nature a su faire de sa vie de vrais livres. Il s’agit probablement du dernier grand écrivain politique à la française. Et peut-être l’un des derniers grands écrivains français tout court.
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