
La classe politico-médiatique a les yeux rivés sur le 31 mars, date où Marine Le Pen sera fixée sur son sort judiciaire. De la décision des magistrats dépend, pour une grande part, la suite de notre vie démocratique. Si les juges suivaient les réquisitions du parquet, ce serait alors une secousse sismique qui viendrait bouleverser en profondeur le fonctionnement d’un espace politique dont la destinée, faut-il le rappeler, est indexée d’abord sur le suffrage populaire.
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C’est au demeurant à partir de cette philosophie générale qu’a été soulevée la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) introduite par un élu mahorais devant le Conseil constitutionnel au sujet de l’épineux problème de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. Même si la situation d’un conseiller municipal et la configuration à laquelle est confrontée la présidente du groupe parlementaire RN ne sont pas reproductibles à l’identique, la réponse des sages du Palais-Royal donnera néanmoins une indication sur la validité constitutionnelle ou non du délibéré du 31 mars. L’un des arguments avancés par la QPC est justement de considérer que les juges, en prononçant l’inéligibilité assortie, qui plus est, d’une exécution immédiate, enfreindraient la séparation des pouvoirs en se substituant à l’électeur qui constitue, en démocratie, l’arbitre suprême.
Posée en ces termes, et de manière que d’aucuns jugeront sans doute sommaire, l’interrogation mérite néanmoins d’être tenue pour essentielle, ne serait-ce que parce qu’elle engage la vision que nous nous faisons d’un régime démocratique et de son évolution. Il faut en effet rappeler cette vérité ontologique qu’il ne peut exister de démocratie sans le pluralisme, d’une part, et sans la volonté populaire, d’autre part. La place du juge dans ce mécano n’est pas relative, certes, mais elle ne saurait être exempte tout à la fois de son questionnement et du respect de la souveraineté.
C’est bien pourtant le sujet majeur qui se profile à l’horizon que celui de la légitimité du juge dès lors que les actes de ce dernier sont susceptibles de modifier le cours de l’événement démocratique. Le raisonnement juridique n’est pas une finalité en soi, sauf à considérer qu’il est la raison ultime d’une organisation politique, sorte de nouvelle théologie à vocation théocratique dont la conséquence est de s’imposer au peuple. Une telle pente, qui ne cesse de poindre en Europe par petites touches, sur fond de « clair-obscur », n’est pas sans poser problème puisqu’elle transforme subrepticement et de l’intérieur la nature de nos régimes.
Sous couvert d’État de droit, c’est aussi le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui est peu à peu bousculé
Car sous couvert d’État de droit, c’est aussi le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui est peu à peu bousculé, comme par un enchaînement progressif où la démocratie, dans sa définition originelle, à savoir « le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple », n’est plus qu’une variable d’ajustement, au point de se rétracter en un théâtre d’ombres, voire en une étoile morte qui continue à scintiller dans la nuit de son agonie…
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*Arnaud Benedetti est professeur associé à la Sorbonne et auteur de « Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ? » (Michel Lafon).
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