Déplacés, mais pour aller où ? Le 18 mars, les forces de l’ordre ont procédé à l’évacuation de la Gaîté Lyrique, où près de 400 migrants campaient depuis trois mois. Cette opération, qui s’est déroulée sur près de trois heures, a donné lieu à 46 interpellations et 62 retenues administratives. À l’issue de l’intervention policière, encouragés par les élus et collectifs militants présents, la plupart des expulsés ont refusé les hébergements proposés dans le cadre du dispositif de droit commun, où leur situation administrative aurait été évaluée. Seuls six migrants ont accepté d’être relogés dans un centre pour adultes et ont embarqué à bord d’un bus, direction Rouen. « Six volontaires sont arrivés et vont être pris en charge pour une évaluation de leur situation administrative », confirme la préfecture de Seine-Maritime au JDNews.
« Souvent, Rouen sert de soupape au territoire parisien. Je ne suis donc pas surpris qu’ils arrivent chez nous. D’ailleurs, nous n’avons été informés en amont d’aucune arrivée », observe Stéphane Martot, conseiller municipal EELV de Rouen. Ancien salarié d’Adoma, l’opérateur national chargé de l’ouverture des foyers d’accueil, l’élu connaît bien le sujet. « Paris est saturé et Rouen fait partie des villes mises à contribution. Depuis plusieurs années, l’État a choisi de réorienter les flux de demandeurs d’asile vers des agglomérations moyennes, considérant que les grandes métropoles comme Paris, Lyon ou Marseille ne pouvaient plus absorber de nouvelles arrivées. »
Troubles à l’ordre public
Au total, la capitale normande, ville des derniers jours de Jeanne d’Arc, compte cinq centres d’accueil pour demandeurs d’asile : Adoma, le Caps, SOS Solidarités, France terre d’asile et Carrefour des Solidarités, qui totalisent entre 1 000 et 1 500 places. « Ici, pas de vague. Ces structures sont en place depuis des années et les habitants s’y sont faits », tranche l’élu. Pour les migrants de la Gaîté Lyrique qui ont refusé de partir, l’errance reprend. Quitter la capitale ? Inenvisageable. Malgré les hébergements proposés en Île-de-France et en province, partir signifierait renoncer à leurs recours. « Rouen prend sa part dans ce dossier mais toutes les villes devraient en faire autant », martèle Stéphane Martot. L’État et la mairie de Paris se renvoient la balle sur la gestion des occupants.
Lors de l’évacuation, aucune infraction n’a été constatée
Pourtant, la règle est claire : l’État organise le renvoi de ceux qui peuvent l’être mais n’a aucune obligation de relogement. Cette mission revient à la mairie de Paris, qui doit trouver des solutions d’hébergement temporaires. Les mineurs sont pris en charge par les services compétents, en l’occurrence les conseillers de Paris ; tandis que les majeurs, surtout en cas de troubles à l’ordre public, peuvent être envoyés en centre de rétention administrative (CRA) en vue d’une expulsion, sous l’égide du ministère de l’Intérieur. Ceux non expulsables sont orientés vers des hébergements d’urgence.
En cause : l’absence de relations diplomatiques avec leur pays d’origine ou l’existence de conflits actifs empêchant toute reconduite. Ils partagent ainsi le sort des étrangers en situation irrégulière. Pour les autres, en particulier ceux interpellés pour troubles à l’ordre public, l’expulsion reste la voie privilégiée, sous réserve qu’elle soit réalisable.
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Sur la soixantaine de migrants interpellés, plusieurs attendent encore de passer un test de minorité
Le ministère de l’Intérieur commence par examiner leur nationalité, un exercice délicat puisque nombre d’entre eux sont sans papiers. Des vérifications administratives sont en cours pour déterminer si certains délogés de la Gaîté Lyrique feront l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), un processus souvent long, notamment pour déterminer l’âge des intéressés. « Il y a des mineurs, et des majeurs qui se font passer pour des mineurs. Tout est très compliqué, souffle-t-on à Beauvau. On leur a proposé des places d’hébergement ; l’immense majorité a refusé, préférant suivre les conseils des associations qui leur ont déconseillé de s’y rendre. »
Sans point de chute
Le ministère de l’Intérieur ne peut les forcer à accepter un hébergement : le droit européen interdit de priver de liberté un individu uniquement pour clandestinité, et les CRA n’ont pas la capacité d’absorber un nombre illimité de personnes. Un parc de places d’hébergement public existe, principalement géré par des associations. « Nous nous sommes contentés de les orienter. Ils ne sont pas montés dans des camions de police mais dans des bus : on a vidé un lieu, on n’a pas arrêté tout le monde ! » réagit l’entourage de Bruno Retailleau. Et les associations jouent de cette situation à des fins politiques, laissant ces migrants ballotés, livrés à eux-mêmes et manipulés au fil de leur parcours.
À la Gaîté Lyrique, devenue le théâtre d’une manifestation permanente, on leur a probablement soufflé de ne pas faire confiance à la police. Aujourd’hui, aucune infraction n’a été constatée, le délit de séjour irrégulier ayant été supprimé. « Une mesure que Bruno Retailleau entend bien rétablir », insiste son entourage. En attendant, à l’exception de six migrants qui ont accepté d’embarquer pour la Normandie, ceux qui ont refusé toute prise en charge vagabondent sans point de chute. Qu’adviendra-t-il d’eux ? Rien ne dit que demain, ils ne prendront pas à nouveau d’assaut un théâtre ou quelque autre haut lieu culturel, ceux-là mêmes qui font pourtant rayonner notre capitale…
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