
Le Centre Pompidou n’a pas dit son dernier mot. À six mois de sa fermeture complète pour cinq ans de travaux de rénovation, le temple de l’art moderne dégaine une de ses rétrospectives les plus réussies consacrée à Suzanne Valadon (1865-1938), femme audacieuse et libérée des conventions de son temps qui n’a finalement adhéré à aucun courant, façonnant sa propre identité. Sa devise ? « Rester soi-même, tâcher de traduire les multiples et changeants aspects de la vie, de la lumière et des formes, c’est pour l’artiste la seule loi. » Bien sûr, il s’agit d’une exposition conçue en 2023 par le Centre Pompidou-Metz, mais cela ne la rend pas moins exceptionnelle : Paris n’a pas accueilli de monographie d’envergure la concernant depuis 1967 et cette version, où le public se presse pour apprécier les quelque 200 œuvres, a été enrichie de nouveaux prêts et documents d’archives.
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Mouvement perpétuel
On est frappé au premier abord par la scénographie qui semble en mouvement perpétuel, avec des circonvolutions pour laisser éclater la formidable énergie de ses peintures, ménageant ici et là des cabinets de dessins dans des alcôves intimistes et tamisées, pour éclairer ses recherches formelles. On est emporté dans le tourbillon irrésistible du processus de création de celle qui brillait par son caractère frondeur et son rôle précurseur, s’attaquant notamment au nu masculin de face, le sexe apparent, un thème longtemps réservé aux hommes !
Compositions réalistes
Marie-Clémentine Valadon naît le 23 septembre 1865 à Bessines-sur-Gartempe, en Haute-Vienne. Elle grandit à Montmartre, élevée par sa mère Madeleine, lingère. Elle ignore qui est son père. Dès 11 ans, elle travaille comme couturière, blanchisseuse, serveuse et marchande ambulante de fruits et légumes. Puis trapéziste ! « Le cirque a toujours été ma grande passion, déclare-t-elle. Mais je suis tombée en faisant un double saut périlleux. Devenue fragile, j’ai dû renoncer à ces exercices. Et je me mis à peindre, avec acharnement. » Elle gagne un peu d’argent en tant que modèle sous le pseudonyme de Maria, pour Pierre Puvis de Chavannes, Auguste Renoir et Henri de Toulouse-Lautrec, qui loue un atelier dans le bâtiment où elle habite.
Il choisit son prénom en référence à l’épisode biblique de Suzanne et les vieillards, car elle pose pour des artistes bien plus âgés qu’elle ! Ils entament une liaison et il la soutient quand elle s’empare du crayon pour perfectionner sa pratique du dessin, qui la passionne depuis sa jeunesse. Elle esquisse à la mine de plomb, au fusain ou à la sanguine, encouragée par Edgar Degas, qui enseigne à cette élève providentielle les rudiments de la discipline. Il faut attendre 1892 pour que l’autodidacte se saisisse du pinceau et réalise des portraits, des paysages, des natures mortes et des nus. Puisant son inspiration dans les scènes du quotidien, observant son entourage, sa famille et ses chiens. Ses compositions sont réalistes, sans idéalisation ni complaisance.
Une lucidité impitoyable, surtout lors de l’exercice de l’autoportrait
Son style : un trait noir incisif qui cerne les figures, des couleurs éblouissantes, une lucidité impitoyable surtout lors de l’exercice de l’autoportrait. « Il faut être dur avec soi, avoir une conscience, se regarder en face », admet-elle. Elle multiplie les aventures sentimentales, avant d’épouser en secondes noces André Utter. Elle rencontre le succès de son vivant, la vente de ses tableaux lui assure une sécurité financière. Elle initie son garçon, Maurice Utrillo, à l’art afin de le détourner de l’alcool et canaliser ses accès de violence et de démence. « J’appartiens tout entière à mon fils et à ma peinture, deux sacrées choses que j’adore, mais deux sacrés emmerdements aussi, vous pouvez me croire ! »
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« Suzanne Valadon ». Jusqu’au 26 mai. centrepompidou.fr
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