
Gaza, Jaffa, Beyrouth, Jourdain, Haifa, Hébron, Naplouse, Tripoli… Non, vous n’êtes pas à l’écoute des nouvelles, souvent tragiques, en provenance du Proche-Orient. Vous avez été transporté mille ans plus tôt dans le royaume de Jérusalem, cadre du premier livre de Sharon Kay Penman traduit en français (longue attente pour découvrir chez nous cette spécialiste du récit historique disparue en 2020 et très populaire auprès du public anglo-saxon).
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Autre époque, donc, mais tout aussi convulsive : un siècle après la conquête de la ville sainte par Godefroy de Bouillon, le décès du roi Amaury ouvre une guerre de succession. Autant d’intrigants que de courtisans dans l’entourage du jeune Baudouin, appelé à succéder à son père, sans parler de la rivalité ouverte entre sa mère et sa belle-mère. La situation s’aggrave encore d’une rumeur que les protagonistes ont bien du mal à contenir : et si l’adolescent sur le point d’être couronné souffrait de la lèpre ? Le royaume aurait pourtant plus que jamais besoin de stabilité afin d’apaiser les tensions entre communautés tandis qu’à ses frontières grandit l’ombre menaçante du chef de guerre sarrasin.
Tel est le point de départ des mille pages d’une fresque torrentielle où l’auteur ne manque jamais de donner chair à sa vaste connaissance du sujet. Comme dans le passage où un jeune écuyer découvre la ville d’Acre : « Il n’avait jamais vu un tel tourbillon d’êtres humains : la foule se pressait de toutes parts, investissant la moindre ruelle aussi loin que portait le regard. Il y avait là des marins, des colporteurs, des chevaliers du Temple et des hospitaliers, des prêtres, des pèlerins, des mendiants, des bouviers se frayant un chemin en fouettant les mules qui tiraient leurs charrettes, de respectables matrones et des femmes qui l’étaient visiblement beaucoup moins, des gamins qui couraient en tous sens, des marchands de toute sorte… »
On se laisse entraîner par le choc des civilisations
La présence des Templiers vaut ici clin d’œil à tous les lecteurs des Rois maudits et à tous ceux qui se passionnèrent pour la série Game of Thrones, directement inspirée des romans de Maurice Druon. On se laisse de même entraîner dans Terre sainte par le cours tumultueux des événements, par la reconstitution d’un Moyen Âge à la fois si loin et si proche, pareillement agité du choc des civilisations et des religions.
En écrivain aguerri, Sharon Kay Penman ne se contente pas d’opposer Baudouin IV et Saladin, champions respectifs de la chrétienté et de l’islam. Une attention particulière est portée aux seconds rôles avec Guillaume, archidiacre de Tyr et homme de sagesse dans un monde de fureur, ou Balian d’Ibelin, frère cadet du roi. Toutes les figures imposées du genre sont exécutées avec conviction, jusqu’à de spectaculaires scènes de bataille : « Entrevoyant une proie facile, le Sarrasin se rapprocha, prêt à l’abattre. Mais les chevaliers de la maison du roi restaient groupés le plus près possible de leur souverain et lui tenaient lieu de garde rapprochée, à l’image des mamelouks, les soldats d’élite qui protégeaient Saladin. L’un d’eux abattit son épée et décapita le Sarrasin, dont le sang bouillonnant gicla sur la jambe du roi et les garrots d’Assad. » On s’émeut, on se passionne, on s’instruit – preuve qu’en Terre sainte continuent de naître les grands récits.
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Terre sainte, de Sharon Kay Penman, Le Cherche midi, 1 088 pages, 25,90 euros. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Ménard
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