Ce vendredi 2 juillet 2021, une légère brise de Sud-Est souffle sur le quartier Saint-Augustin, tout près du centre de Bordeaux. Sandra quitte son domicile avec sa petite fille. Le temps est bon. Il faut en profiter, le week-end s’annonce pluvieux. Elle claque la porte sans se douter que, tapi dans l’ombre, quelqu’un les observe. Son ex-compagnon, Mickaël Falou, est caché dans une remise de jardin depuis 4h30.
En réalité, il rôde en permanence depuis leur séparation six mois plus tôt. Il n’arrive pas à passer à autre chose. Ce terrible matin, il est déterminé à « avoir une explication avec elle ». Les peurs de Sandra se concrétisent. À son retour de l’école, vers 8h45, Mickaël la pousse à l’intérieur et lui assène plus de 50 coups de couteau au visage. Alertés par des voisins, les policiers retrouvent la jeune femme défigurée et couverte de sang un peu plus d’une heure après.
« C’est scandaleux »
Ce déferlement de violence aurait-il pu être évité ? Après la condamnation de Mickaël Falou à 30 ans de réclusion criminelle le 31 janvier dernier, la famille de Sandra espère désormais voir l’État reconnu coupable pour inaction et fautes lourdes. Ils attendent une date d’audience depuis plus d’un an. « L’agent judiciaire et le parquet font traîner au lieu de faire amende honorable, fustige Me Elsa Crozier auprès du JDD. C’est scandaleux. Il est temps qu’ils prennent leur responsabilité. »
« Je ne tiendrai pas longtemps dans ces conditions »
Comme c’est souvent le cas dans les affaires de féminicide, Sandra avait sollicité la justice plusieurs fois. En vain. Le 6 janvier 2021, quelques semaines après leur rupture, la jeune femme porte plainte, inquiète pour sa sécurité et celle de sa fille, âgée de quatre ans à l’époque. Sa plainte est classée sans suite. Sa demande d’ordonnance de protection auprès du juge aux affaires familiales est rejetée. La situation dégénère. Elle écrit au procureur et au président de la République le 30 mars 2021. « Je ne tiendrai pas longtemps dans ces conditions, et je crains le pire des dénouements », alerte-t-elle dans ce courrier. Malgré une deuxième plainte, elle reçoit 67 appels téléphoniques et 217 messages malveillants en l’espace de quelques mois.
Redoutant une tragédie et face à l’absence de mesures contre Mickaël Falou, la mère et le beau-père de Sandra décident d’emménager chez elle, dans son petit appartement. Ils installent un système de vidéosurveillance devant sa porte. Les enregistrements le prouvent : Mickaël Falou se rendait quotidiennement devant le domicile de son ex-compagne. Le meurtrier de Sandra est placé en garde à vue le 29 juin 2021, après une troisième plainte pour harcèlement. Remis en liberté sous contrôle judiciaire, il passe à l’acte trois jours plus tard.
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Sept plaintes
En avril, l’État devrait répondre à ses manquements pour un autre féminicide, survenu à quelques kilomètres de chez Sandra. Celui de Chahinez Daoud, 31 ans aussi au moment de sa mort. Chahinez, dont le mari est jugé cette semaine à Bordeaux, a été brûlée vive en pleine rue, devant chez elle, à Mérignac. Cette mère de trois enfants avait déposé sept plaintes et mains courantes. Autant d’alertes qui n’ont pas empêché Mounir Boutaa de « la cramer pour tout le mal qu’elle et la justice [lui] ont fait ».
Des négligences en série dans cette affaire ont été pointées dans un rapport accablant de l’Inspection générale de la justice et de l’Inspection générale de l’administration. Depuis, cinq policiers ont été sanctionnés, dont le directeur départemental de la police de Gironde et le commissaire de Mérignac en poste à l’époque. Parmi eux figure également l’agent qui a mal enregistré la dernière plainte de la victime, le 15 mars 2021. Un mois plus tôt, il avait lui-même été condamné pour violences conjugales. Il a depuis été radié de la police. L’avocat des parents de Chahinez, Julien Plouton, réclame un million d’euros de dommages et intérêts à l’État pour ce fiasco judiciaire. Rendez-vous après le procès devant la cour d’assises.
Des décisions rarissimes
Les condamnations pour « faute lourde » dans de telles affaires sont exceptionnelles. La plus récente remonte à 2020 après le meurtre d’Isabelle Thomas et de ses parents par son ex-conjoint. À l’issue d’une course-poursuite dans les rues de Grande-Synthe le 4 août 2014, Patrick Lemoine abat la professeure de mathématiques de 49 ans et ses anciens beaux-parents. Isabelle avait déposé plusieurs plaintes à son encontre pour violences et harcèlement répétés. L’État a été condamné à verser à sa sœur, Cathy Thomas, et à son fils, le neveu d’Isabelle, environ 100 000 euros pour inaction face aux violations répétées de Patrick Lemoine de son contrôle judiciaire.
En mai 2014, les juges ont condamné l’État à verser 150 000 euros de dommages et intérêts à la famille d’Audrey Vella, poignardée à mort en 2007 par son ex-compagnon, alors qu’elle avait alerté à de nombreuses reprises la gendarmerie. En janvier 2017, l’enfant mineur d’une femme tuée par son ancien compagnon a obtenu 54 000 euros. Des exemples qui se comptent sur les doigts d’une main, alors que 135 femmes ont été tuées par leurs conjoints ou ex-conjoints durant l’année 2024 seulement.
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