« Ah non, pas la femme rabbin ! Ça fait homme-grenouille. » La réplique est lancée par Ilan (incarné par Manu Payet), dès les premières minutes de la série, alors qu’il s’agit de trouver un qualificatif à Léa qui embrasse tout juste sa vocation après avoir achevé sa formation. L’humour, ici « chirurgical », est distillé tout au long des huit épisodes pour apporter une légèreté essentielle à la profondeur du propos. « Il intervient comme une rupture, presque comme un soulagement. Car c’est souvent dans les moments dramatiques, comme aux enterrements, que l’on a les plus grands fous rires », analyse Noé Debré, le scénariste de cette pépite adaptée de Vivre avec nos morts, le roman bouleversant de Delphine Horvilleur publié en 2021.
On suit Léa, 28 ans, qui se lance donc le pari audacieux de devenir l’une des (rares) femmes rabbins de France. Son objectif ? Aider les autres, certes, mais également tenter de répondre aux montagnes de questions existentielles qui l’agitent. Première mission : réconcilier un couple en désaccord sur la circoncision de leur petit garçon. Elle est juive, pas lui, il s’y était engagé pendant la grossesse mais a changé d’avis depuis, alors elle fulmine. Le début d’un long chemin de croix pour notre jeune religieuse. Entre sens de l’écoute (à toute épreuve), devoir de réserve et respect de la religion face à des demandes parfois farfelues, elle va en effet avoir toutes les peines du mondes à apaiser les cœurs et aiguiller les âmes.
Le début d’un long chemin de croix pour notre jeune religieuse
D’autant que, au-delà de devoir subir les railleries, voire les contestations de sa féminité, sa propre foi lui cause bien des tourments. D’abord parce que son père (brillamment incarné par Éric Elmosnino) est athée jusqu’au bout des ongles et que chaque réunion familiale vire aux déchaînements de sarcasmes. Ensuite parce qu’elle se heurte à son mentor, Arié, qui prône un judaïsme traditionaliste là où elle, libérale, défend une vision beaucoup plus modérée. Une scène les opposant publiquement, au cours du quatrième épisode, marque par son intensité et sa résonance. Et c’est précisément là tout le sel du Sens des choses : questionner sans relâche les fondements et l’évolution des croyances, sans jamais orienter le débat.
Un choix assumé par son scénariste : « Nous ne voulions surtout pas faire une série prosélyte où l’on expliquerait que le salut passe par la religion entre autres. » Et c’est dans cet esprit qu’on rit (beaucoup) d’un sujet pourtant sensible, comme lors de cet échange lunaire (qui pourrait devenir culte) entre Arié et un jeune apprenti. D’un calme déconcertant (mais un brin cruel ?) le rabbin explique à son élève (médusé) que, selon les textes, la loi orale autorise la lapidation de l’enfant rebelle par ses propres parents. « C’est un texte bien connu du Talmud, sourit Noé Debré, mais il est très complexe et, surtout, dans les faits, inapplicable… »
Une scène qui, comme beaucoup d’autres, se joue et s’amuse de certaines incohérences religieuses, entre croyances ancestrales et logique moderne, parfois incompatibles. Le créateur de l’excellente série Parlement et du surprenant Zorro avec Jean Dujardin, également co-scénariste de Dheepan aux côtés de Jacques Audiard (Palme d’Or en 2015), admet que sa propre confession juive a facilité l’écriture de l’histoire. « J’ai l’oreille musicale sur le sujet, reconnaît-il. Ça aurait été vraiment très compliqué pour quelqu’un qui ne connaît pas du tout cet univers de s’en emparer ainsi. Surtout pour y intégrer autant d’autodérision. » Sans jamais se prendre au sérieux, parfois même en flirtant avec la farce, Le Sens des choses parvient donc à dépeindre l’envers d’une religion qui pourrait, finalement, être n’importe laquelle.
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Sa confession juive a facilité l’écriture de l’histoire
Une vraie comédie aux contours dramatiques, toujours profonde, mais jamais sinistre, et qui fait du bien. Notamment grâce à la performance impeccable (et subtile) d’Elsa Guedj dans le rôle de la « femme rabbin ». Aperçue dans la série Drôle (Netflix) en 2022, la comédienne apporte à son personnage une fraîcheur et une justesse remarquables. Incarnant une jeune femme en pleine construction qui, entre deux sermons, semble sans cesse se torturer en s’interrogeant ainsi : « Comment aider les autres à trouver un sens à leur vie quand on cherche encore le sien ? »
Le sens des choses ★★★, de Noé Debré, avec Elsa Guedj, Éric Elmosnino, Manu Payet. Huit épisodes de 30 minutes. Disponible vendredi sur Max.
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