L’ultimatum n’y aura rien fait. Alors que le 14 mars, Bruno Retailleau présentait à l’Algérie une liste de soixante ressortissants jugés particulièrement dangereux et expulsables, le régime algérien y a opposé une fin de non-recevoir. « L’épreuve de vérité », telle que Bruno Retailleau l’avait présentée, aura rapidement rendu son verdict. Dans la foulée, la « riposte graduée » prévue par le Comité interministériel de contrôle de l’immigration s’est mise en place. Paris doit suspendre l’exemption de visas pour les Algériens détenteurs de passeports diplomatiques. 801 membres de la nomenklatura seraient concernés.
Une réponse insuffisante pour le RN et Laurent Wauquiez, qui réclament davantage de fermeté et de célérité. « Qui croit sérieusement que c’est de nature à faire plier le gouvernement algérien ? Le seul levier d’action, c’est la dénonciation des accords de 1968 », estime le concurrent de Bruno Retailleau à la présidence des Républicains.
Mais Paris défend l’efficacité de sa mesure. « En réalité, l’Algérie est un pays très divisé. Le président Tebboune est contesté par une partie des élites et beaucoup de responsables ont des intérêts en France. L’obligation de demander un visa et potentiellement de se le voir refuser aura des conséquences directes sur eux. C’est loin d’être anecdotique », analyse une source gouvernementale. Et la Place Beauvau d’enchérir : « Il y a un côté opportuniste et politicien qui n’est pas à la hauteur de l’enjeu chez ceux qui appellent à la démission de Bruno Retailleau. »
Le seul levier d’action, c’est la dénonciation des accords de 1968
Laurent Wauquiez
Celle-ci, un temps évoquée par l’intéressé, n’est plus d’actualité. Car si le ministre de l’Intérieur est en première ligne pour mener le bras de fer avec Alger, il peut compter sur le soutien sans faille de François Bayrou. De l’Élysée aussi, qui veille néanmoins au respect de ses prérogatives. Même Jean-Noël Barrot, pourtant adepte de la diplomatie hors caméras, appelle à réagir « sans faiblesse » face à ce qu’il qualifie « d’atteinte aux intérêts des Français ».
Pour le gouvernement, l’objectif reste de sanctionner le régime et d’épargner la diaspora présente en France. « On vise des gens qui passent leur temps à critiquer ce qu’on fait et viennent passer leurs week-end, se faire soigner ou profiter du ramadan ici », poursuit un proche du dossier, qui promet de monter en gamme si l’Algérie ne coopérait pas davantage. Dans le viseur : l’élargissement des sanctions aux militaires ou aux milieux économiques, dont certains possèdent des biens en France ou dont les enfants étudient dans les universités françaises. L’arme fiscale pourrait aussi faire partie de l’arsenal, comme des restrictions dans l’accès aux soins, alors que la dette des ressortissants algériens atteignait 45 millions d’euros en 2023, rien que pour l’AP-HP. « Il y a pas mal de tiroirs », résume un conseiller.
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Longtemps taboue, l’hypothèse d’une suspension des accords de 1968, après avoir pris de l’ampleur tant les relations entre les deux capitales se détériorent, semble pâlir. Selon nos informations, depuis janvier, l’Algérie a refusé de reprendre vingt-trois de ses ressortissants, escortés par la police française et priés de repartir pour Paris à peine le pied posé sur le tarmac d’Alger. Tous possédaient un passeport algérien, sésame qui dispense normalement la France d’obtenir un laissez-passer consulaire de l’Algérie, selon l’article 1 du protocole de 1994 négocié entre les deux pays. « Ils adaptent le droit en temps réel », s’exaspère la Place Beauvau.
Le même cas s’était présenté lors de l’expulsion ratée de l’influenceur Doualemn, le 9 janvier dernier, provoquant la colère de Bruno Retailleau, qui avait appelé à mettre fin à « l’humiliation » infligée à la France par l’Algérie. Signe supplémentaire de la méfiance croissante entre les deux pays, Paris ne réalise plus les éloignements que par Air France, depuis qu’un commandant d’Air Algérie, sur ordre du régime, a refusé de laisser monter à bord de son avion un Algérien en passe d’être expulsé.
L’assaillant de Mulhouse, un Algérien sous OQTF, avait été refusé par Alger
Depuis le début de l’année, le régime a transmis 300 laissez-passer consulaires. Un chiffre faible, compte tenu du nombre de documents réclamés par Paris. L’an dernier, la France a délivré 21 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF) à des Algériens, demandé plus de 5 000 laissez-passer consulaires et en a obtenu moins de 1 000. Une situation « anormale », mise en lumière par l’attentat de Mulhouse perpétré par un Algérien sous OQTF qu’Alger avait refusé de reprendre, et qui a conduit Paris à engager le bras de fer.
Reste que la diplomatie ne s’est pas totalement arrêtée. De manière inattendue, samedi 22 mars, le président algérien a affirmé « travailler » avec Emmanuel Macron, qu’il considère comme « l’unique point de repère ». Il y a eu « un moment d’incompréhension, mais il reste le président français et tous les problèmes doivent se régler avec lui ou avec la personne qu’il délègue, à savoir les ministres des Affaires étrangères entre eux ». Des « problèmes à régler », donc. Dont celui de l’incarcération arbitraire de l’écrivain Boualem Sansal ? Ce dernier, qui encourt jusqu’à dix ans de prison, devrait connaître son verdict le jeudi 27 mars.
Malgré tout, le pessimisme est de mise quant à l’avenir des relations entre les deux pays. Depuis la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par la France le 30 juillet dernier, l’Algérie a rappelé son ambassadeur à Paris, isolé l’ambassadeur français à Alger et imposé des contraintes lourdes aux entreprises françaises, au point de faire partir Michelin le mois dernier, pourtant implanté sur place depuis 62 ans. « Le mal est profond. Peut-être est-ce le moment de tirer au clair cette relation. On l’avait toujours considérée comme un partenariat d’exception. Or, c’est devenu exceptionnellement difficile », résume pudiquement un fin connaisseur du dossier.
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