Le JDD. À quels types de contenus sont exposés les consommateurs de pornographie ?
Maria Hernández-Mora. L’industrie pornographique propose une sexualité crue et déshumanisée. Si certains contenus paraissent modérés, une part importante met en scène des pratiques extrêmes, parfois même illégales, comme l’inceste, la pédophilie ou les rapports non consentis (« sleeping girl »). Une étude récente révèle que près de 50 % des vidéos sur les grandes plateformes comportent des violences physiques contre les femmes, et 97 % des violences verbales. Aujourd’hui, la pornographie ne se limite pas à représenter des actes sexuels : elle façonne et banalise des comportements excessifs et malsains qui rendent possibles des fantasmes au-delà de l’imaginable.
Y a-t-il une bonne et une mauvaise pornographie ?
Une partie des chercheurs estiment que la pornographie, en elle-même, n’est ni bonne ni mauvaise, et ne devient problématique que lorsqu’elle engendre des troubles tels que la dysfonction sexuelle, l’addiction ou la reproduction de violences. Cette approche domine également sur le plan politique, où la pornographie est fréquemment perçue comme un aspect ordinaire de la sexualité adulte. Or, il n’existe pas de pornographie sans conséquence. Les effets commencent dès l’industrie elle-même, marquée par l’exploitation de personnes vulnérables et par la marchandisation du corps, notamment féminin. L’impact s’étend ensuite à la société : perturbation du développement psychosexuel chez les jeunes, troubles de la santé mentale et sexuelle chez les adultes, et reproduction des violences visionnées. À grande échelle, ces effets, qui peuvent avoir des répercussions judiciaires et pénales, fragilisent l’ordre social.
La consommation de pornographie entraîne-t-elle inévitablement une forme de dépendance ?
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Tout consommateur de pornographie ne développe pas une addiction, mais certains profils y sont plus vulnérables. D’une part, les jeunes qui consomment à un âge précoce. Exposés trop fréquemment au contenu pornographique, leurs cerveaux se dérégulent et peut développer des symptômes addictifs. D’autre part, les personnes avec des vulnérabilités psychologiques particulières telles qu’un attachement « insécure », une impulsivité marquée ou des difficultés émotionnelles et familiales, et qui trouvent dans la pornographie un refuge compensatoire. Il est impossible de déterminer qui développera une dépendance.
Quels sont les effets de la consommation de pornographie chez l’adulte ?
La pornographie expose à des stimuli artificiellement exacerbés, conditionnant le cerveau à des niveaux d’excitation extrêmement élevés qui ne correspondent pas à la réalité. Cette surexposition peut conduire à des dysfonctions sexuelles, telles que des troubles de l’érection, une difficulté à atteindre l’orgasme ou une insatisfaction croissante dans la sexualité réelle. Par ailleurs, elle peut entraîner une banalisation de la violence sexuelle. Des études montrent qu’elle renforce les mythes du viol et associe plaisir et domination, rendant certaines personnes enclines à développer des dynamiques sexuelles et relationnelles distorsionnées.
Et chez les jeunes ?
L’exposition précoce à la pornographie commence en moyenne à 9 ans. Confronté à des contenus explicites et souvent violents, l’enfant se retrouve pris dans un paradoxe : d’un côté, un choc émotionnel face à des images qu’il ne comprend pas et qui suscitent du dégoût ou de la peur ; de l’autre, une stimulation intense du système de récompense cérébral, libérant une forte dose de dopamine et générant une sensation de plaisir. Lier violence et plaisir, dissocier la sexualité de l’amour et de l’affectivité est très grave. En habituant les adolescents à une sexualité sans lien, sans confiance ni émotion, on risque de façonner des adultes incapables de construire des relations épanouies et équilibrées. Cette imprégnation précoce favorise en outre le développement d’une consommation compulsive, où la masturbation devient un mécanisme de régulation émotionnelle.
Plusieurs experts pointent une augmentation des violences sexuelles entre mineurs…
La pornographie façonne, en effet, des normes déconnectées du consentement et de l’affectivité, entraînant une banalisation de pratiques violentes. Les études montrent que les garçons consommateurs réguliers ont 2,5 fois plus de probabilités d’adopter des comportements agressifs, tandis que les filles sont quatre fois plus susceptibles d’être victimes de violences sexuelles. Nombreuses sont celles qui intègrent les codes pornographiques en pensant répondre aux attentes masculines, se mettant ainsi dans des situations traumatisantes sans en mesurer les conséquences. L’impact se fait sentir jusque dans les cours de récréation, où la reproduction de scénarios pornographiques se banalise. Cette assimilation inconsciente crée une génération dont la construction sexuelle est marquée par des représentations faussées et potentiellement destructrices.
« La pornographie doit être reconnue comme un enjeu de santé publique »
La consommation de pornographie a-t-elle un impact sur les questionnements identitaires à la puberté ?
On observe que certains adolescents en quête de nouvelles stimulations se tournent vers des contenus qui ne correspondent pas à leurs préférences initiales. Ce mécanisme repose sur un processus neurologique bien connu : à force d’exposition, le cerveau libère de la dopamine, créant une excitation automatique, même face à des contenus qui, au départ, ne suscitaient ni attrait ni intérêt. Or les jeunes, en pleine construction identitaire, peuvent interpréter cette réaction comme une révélation de leur orientation sexuelle. Dans certains cas, ils testent alors ces pratiques dans la réalité, persuadés que le plaisir ressenti face à une image définit leur identité.
Comment réagir si l’on découvre que son enfant regarde des contenus pornographiques ?
Il est essentiel d’aborder le sujet sans jugement, pour établir un dialogue de confiance. L’enfant doit comprendre qu’il ne sera ni puni ni culpabilisé, mais accompagné. Des règles claires doivent être mises en place, tout en lui offrant des repères à travers des ressources adaptées, comme des ouvrages sur une sexualité équilibrée, accessibles à la maison. Si une addiction s’installe, l’aide de professionnels spécialisés est nécessaire.
Peut-on sortir de l’addiction à la pornographie ?
Oui, mais cela exige une réelle motivation et un accompagnement spécialisé. En France, la pornographie n’est pas perçue comme un comportement à risque, ce qui limite la prévention et les soins adaptés. Les adultes concernés peinent à trouver de l’aide : l’addiction est souvent minimisée, les professionnels peu formés. Beaucoup restent donc piégés dans la honte, et leur dépendance s’aggrave. Pourtant, la demande est forte : les consultations spécialisées sont saturées et les groupes de parole très sollicités. La création d’unités d’addictologie dédiées permettrait une prise en charge plus efficace et encouragerait davantage de personnes à demander de l’aide. La pornographie doit être reconnue comme un véritable enjeu de santé publique.
Quelle politique de prévention serait nécessaire ?
Une approche globale, articulée autour de l’éducation et de la santé, est essentielle. Dès la sixième, des programmes de prévention ciblés devraient être mis en place. Dans le cadre de l’éducation affective et sexuelle désormais obligatoire, ce sujet doit être abordé de manière explicite, en reconnaissant la pornographie comme un produit à risque, au même titre que l’alcool ou les jeux d’argent. Par ailleurs, des campagnes nationales de sensibilisation sont indispensables pour en faire connaître les dangers.
* Maria Hernández-Mora est psychologue clinicienne, docteur en psychologie, spécialiste des addictions comportementales. Elle a fondé les consultations pour l’addiction à la pornographie du CSAPA Imagine (GH Eaubonne-Montmorency, Val-d’Oise), le réseau de cliniciens de l’addiction pornographique et sexuelle (hôpital Marmottan, Paris) et l’association Déclic.
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