Une épicerie, des rues pavées, des toits couverts de tuiles, quelques statues de la Vierge encastrées dans des murets. À Pujaut, village gardois pittoresque situé à deux pas d’Avignon, la tranquillité règne. On y salue ses voisins au détour d’emplettes chez le buraliste, les commerçants font la part belle à l’artisanat local et les vignerons de la région y écoulent leurs derniers crus. Chacun semble se connaître dans cette commune réputée huppée, prisée pour sa qualité de vie et sa géographie idéale, située entre Nîmes et Avignon.
Mais depuis plusieurs mois, les riverains n’ont plus vraiment la joie au cœur. La préfecture du Gard a décidé de préempter une maison cossue, en plein centre-ville, afin de la raser et d’y construire deux grands immeubles destinés à accueillir des logements sociaux. Une décision au forceps, permise par le renforcement de la loi « Solidarité et renouvellement urbains (SRU) », qui offre, depuis 2022, la possibilité à l’État de se substituer aux maires pour construire des logements sociaux. La maire de Pujaut (sans étiquette), Sandrine Soulier, dénonce « une aberration administrative qui fait l’effet d’un coup de poignard dans le dos à tous les Pujaulains ».
Les communes paient les inconséquences de l’État
Comme de nombreuses communes françaises, Pujaut s’arrangeait avec la loi SRU depuis des années, préférant payer des amendes que construire des logements sociaux. « La commune a payé 180 000 euros d’amendes par an, depuis… 2014 », précise l’édile. Mais la pression s’est accentuée depuis 2022. « On nous a demandé de mettre en place un plan local d’urbanisme (PLU) incluant des logements sociaux. Ce que j’ai fait. Mais la préfecture a refusé toutes mes propositions », poursuit la maire de Pujaut. Dans la région, la situation sociale est explosive. La ville d’Avignon est aux prises d’une guerre des gangs extrêmement violente et les fusillades se multiplient jusque dans le centre-ville de l’ancienne cité des papes.
Pujaut ne se remet pas de la brutalité de la décision préfectorale
Les logements sociaux débordent, incitant les autorités à désenclaver la ville en relogeant des populations issues de quartiers sensibles dans les communs alentours, dont Pujaut. « On a le sentiment d’être sanctionnés, de faire les frais de l’inconséquence de l’État qui n’a pas su gérer ces situations, et qui veut les déporter ailleurs », se désole Sandrine Soulier. D’autant que Pujaut n’a pas la capacité d’accueillir les 400 logements sociaux requis par la loi SRU, qui contraint les communes de plus de 3 500 habitants à affecter 25 % de leur parc de logements en habitat social. « Notre village est composé à 80 % de garrigue inflammable et de zones inondables. Nous n’avons plus de place ! », lance la maire du village, désespérée.
Pour les riverains, l’annonce de la préfecture est tombée comme un couperet. La zone retenue pour la construction des logements interroge. Enclavé au milieu de plusieurs habitations, le futur ensemble de bâtiments a toutes les chances de ressembler à une cité. Nathalie, voisine des futurs logements sociaux, est originaire des quartiers nord de Marseille. Assistante sociale dans les coins sensibles d’Avignon, elle fait part de son scepticisme. « L’État parle de mixité sociale avec la loi SRU mais fait tout pour que ces gens restent entre eux ! Plutôt que de créer deux grands bâtiments enclavés, n’aurait-il pas mieux valu créer plusieurs logements et les dispatcher dans le village ? » Julie, quant à elle, est au bord de la dépression.
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Le futur ensemble de bâtiments a toutes les chances de ressembler à une cité
« Depuis que l’on sait qu’ils vont construire ces bâtiments ici, notre maison, pour laquelle mon mari et moi nous sommes endettés pour toute une vie, a perdu 40 % de sa valeur… » Les riverains craignent une promiscuité contrainte et des atteintes à leur intimité. Lyne, une dame âgée, a le malheur d’habiter une maison attenante aux futurs bâtiments, qui, depuis leurs 12 mètres de haut, permettront aux locataires d’avoir une vue plongeante sur son jardin. « Ils verront tout. Si le projet se fait, je partirai, mais pour aller où ? Ma vie est ici, à Pujaut ! »
Le désespoir d’une maire
Dans le village, on ne se remet pas de la brutalité de la décision préfectorale. « Les maires n’ont plus aucun pouvoir, lâche Sandrine Soulier. Je déteste la politique politicienne, ce que j’aime, c’est faire de la gestion de village, explique l’édile, sourire aux lèvres. Mais cette histoire est en train de me dégoûter, je me bats tous les jours pour empêcher cette construction, en proposant de nombreuses autres propositions. Mais le préfet n’a même pas pris le temps de me recevoir. Je ne pense pas me représenter aux prochaines élections municipales. S’ils veulent prendre nos pouvoirs, ils n’ont qu’à gérer la commune eux-mêmes ! »
Dernier espoir pour les Pujaulains : un recours devant le tribunal administratif, déposé par neuf riverains pour « excès de pouvoir » de la part du préfet du Gard. « Leur procédure est bancale, j’ai confiance dans le fait qu’ils fassent demi-tour », explique Me Alexandre Coque, l’avocat choisi par les riverains pour engager les poursuites. Les prochaines semaines diront si Pujaut gardera, ou pas, sa réputation de havre de paix dans une région de plus en plus gangrenée par la violence et la drogue.
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