Depuis des décennies, les habitants de cette région sont les premières victimes de dirigeants usés, en bout de course, sans prétention ni ambition, sans vision ni stratégie pour conduire Israéliens et Palestiniens sur le chemin de la paix. La démocratie israélienne vacille en ce moment, pendant que le Hamas s’accroche à son siège éjectable à Gaza, et que l’Autorité palestinienne, devenue « Inautorité » depuis 20 ans, incarnée par un président Abbas bientôt nonagénaire ( !), ne suscite plus aucun espoir chez les jeunes Palestiniens en Cisjordanie. Les trois territoires désespèrent de la situation et l’on voit mal ce qui pourrait changer la donne dans les années à venir. Pourquoi ? Car les trois ont ou tentent encore de verrouiller le système.
La crise politique majeure et historique qui agite Israël depuis plusieurs jours n’est qu’une des multiples facettes de la désillusion complète des habitants d’un État qui a failli le 7 octobre 2023 et qui continue à s’enfoncer dans une guerre dont plus personne ne veut vraiment depuis. Netanyahou a-t-il rétabli la sécurité pour autant ? Non. Il faut savoir pourtant terminer une guerre mais savoir où l’on veut conduire la nation. Benyamin Netanyahou, inoxydable Premier ministre et artilleur en chef des représailles contre le Hamas depuis 17 mois à Gaza, commence à sérieusement avoir du plomb dans l’aile dans l’opinion et l’opposition. Mais on voit mal qui pourrait le remplacer.
Les Israéliens en quête de changement ?
Les Israéliens font donc avec, mais aimeraient aussi faire sans. Dans une telle situation, et alors que « Bibi » est sous le coup de plusieurs chefs d’inculpation pour corruption et dont les verdicts ne devraient pas tarder à tomber, la guerre qui secoue la classe politique dirigeante contre la justice s’intensifie. Ses rivaux tentent de s’organiser mais les élections, en état de guerre, sont loin de survenir. D’autant que Netanyahou soigne sa coalition extrémiste pour se maintenir. Au milieu de ce feu interne qui consume l’État hébreu, des Israéliens désabusés sont descendus en nombre dans les rues du pays. On parle de plusieurs dizaines de milliers de personnes le 22 mars dernier et les rangs devraient encore gonfler.
Les rivaux de Netanyahou tentent de s’organiser mais les élections, en état de guerre, sont loin de survenir
Au fond, ils méritent sûrement mieux que leur dirigeant actuel, qui n’a aucune vision à long terme pour le pays, et qui ne recule devant aucun caprice de l’ultra-droite israélienne qui se délecte de la situation et jubile dans le chaos. Il est un homme politique usé par le pouvoir qui ne présente aucune perspective d’avenir si ce n’est le sien qu’il essaie de sauver. Mais en temps de guerre, il a symbolisé pour ses supporters le père protecteur de la nation. Qui d’autre reste-t-il des personnages politiques clés de l’histoire israélienne ? Critiqué de toutes parts, par d’anciens chefs de renseignements, par d’anciens Premiers ministres, il s’enferme dans une tour d’ivoire d’où il donne les ordres à distance raisonnable.
Notamment celui de rompre la trêve, reprendre les frappes sur Gaza, et virer le chef de la sécurité intérieure qui venait de critiquer de telles décisions. Une tension qui date car le 7 octobre 2023, les mêmes services l’avaient prévenu d’un risque terroriste majeur et il n’en a eu cure. Depuis 17 mois, il bombarde l’enclave, sans envisager réellement l’après-guerre pour Gaza. Et comble du comble : ce comportement jusqu’au-boutiste n’a jamais autant mis en danger les Israéliens de l’intérieur, mais également les otages qui restent détenus par le Hamas. 70 % des Israéliens souhaitent son départ mais pour quoi, pour qui d’autre ?
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Le Hamas livre en pâture les Gazaouis
Du côté de Gaza, il faut bien se le dire : le Hamas n’est plus une option pour diriger l’enclave, à moins un jour de le démilitariser, de l’intégrer au camp palestinien avec l’Autorité palestinienne, mais il y a peu de chances. Il est à l’origine du déclenchement de la guerre, même si les dirigeants israéliens ont non seulement tout fait pour empêcher la création de l’État palestinien depuis des années, et qu’ils ont un temps apporté leur soutien à l’organisation islamiste pour fragiliser Yasser Arafat. Depuis le début des représailles, le Hamas a vu ses dirigeants et cadres mourir un à un et la population de Gaza tuée par dizaines de milliers. Quel avenir proposait le Hamas à ses « administrés » ?
Le Hamas est le premier responsable de la mort de dizaines de milliers de Palestiniens
Aucun, si ce n’est une prétendue « résistance » et la défense d’une idéologie radicale aspirant à la destruction de l’État hébreu et des Juifs. Certes, la reprise récente des négociations a échoué, mais les responsabilités sont partagées, entretenues par l’agitation de Donald Trump sur le dossier, soutenant Bibi dans la reprise des bombardements. Désormais, le Hamas n’a plus beaucoup de cartes en poche, si ce n’est la détention tragique des otages. Il en resterait à peine une soixantaine, dont une partie est probablement décédée, après des mois de calvaire dans les tunnels de l’organisation islamiste. Le jour où l’ensemble des otages (et corps) sera rendu à Israël, les dirigeants islamistes savent que leurs jours seront comptés. Rester ? Mourir ? Partir, mais pour où ? Que faire de Gaza par la suite ?
Toutes les options ont été évoquées : occupation par Israël, mise en place d’une force internationale de « maintien de la paix », création d’une Riviera par les Américains et les Israéliens, reconstruction par les pays arabes, expulsion des Gazaouis, soutien aux Gazaouis sur place. Rien n’est tranché à ce jour et la situation humanitaire sur place est catastrophique. Personne ne veut des Gazaouis, et dans le même temps, quel avenir pour un gosse de cinq ans aujourd’hui, coincé dans l’enclave à attendre la mort ? Le Hamas s’en fiche bien, car contrairement à ce que beaucoup de bien-pensants ont essayé de nous faire croire, il s’est servi des civils comme appât et savait qu’en provoquant le 7 octobre, Netanyahou ne ferait pas dans le détail pour épargner les civils. Il est le premier responsable de la mort de ces dizaines de milliers de Palestiniens.
La Cisjordanie, grande oubliée de la guerre
En Cisjordanie, c’est le chaos mais les médias ne s’y attardent pas. Les colons israéliens sont décomplexés depuis des mois et font la misère aux Palestiniens. La violence y est quotidienne et l’Autorité palestinienne est bien incapable de faire régner l’ordre. Car depuis des années, sa coopération avec Israël en matière de sécurité est largement sous-traitée à l’armée israélienne. Ce qui renforce les tensions sur le terrain. Qui a entendu régulièrement Mahmoud Abbas, ou le Premier ministre palestinien (comment s’appelle-t-il ? ) s’exprimer et agir pour relancer les négociations de paix, en faisant pression sur le Hamas ? Personne. Car il en est bien incapable et n’a plus aucun poids.
En Cisjordanie : un chaos sur lequel les médias ne s’attardent pas
Le peuple palestinien est un peuple jeune et aspire à des dirigeants d’une nouvelle génération. Qu’offre le Fatah aujourd’hui comme espoir ? Rien. Des élections devaient être convoquées depuis des années et rien. Beaucoup de Palestiniens ont soutenu le Hamas après le 7 octobre, mais l’impasse actuelle qui dure les pousse à revoir leur copie. Mais pour qui ? Quel homme politique, si tant est qu’un homme providentiel émerge et suffise, pourrait faire le job ? On ne voit pas, pas plus que du côté israélien pour remplacer Netanyahou.
C’est là tout le drame de la situation sans issue que traversent les peuples de la région et qu’on a laissé pourrir depuis tant d’années. Les systèmes de renouvellement de la classe politique sont tout aussi bloqués que la machine à idées révolutionnaires, pour sortir tout le monde de ce pétrin. Quant aux Nations unies, sur lesquelles on se reposait confortablement pour tout décanter, tout le monde aujourd’hui s’assoit dessus. Walter Benjamin disait : « C’est seulement à cause de ceux qui sont sans espoir que l’espoir nous est donné ». Oui, mais ça, c’est sur le papier seulement.
*Sébastien Boussois, Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Équipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au Nordic Center for Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).
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