Le JDD. En 2024, la natalité a atteint un niveau historiquement bas, avec 1,62 enfant par femme, tandis que les lieux interdits aux enfants se multiplient. Vivons-nous dans une société « puérophobe » ?
Gabrielle Cluzel. Philippe Muray disait : « S’il y a quelque chose qui marche très fort, en ce moment, et qui marchera de plus en plus, c’est la chasse aux phobes. À tous les phobes. » Il se trompait. Pas à tous les phobes. La puéropohobie – on doit ce néologisme à Jean Birnbaum auteur de Seuls les enfants changent le monde (Seuil) – se porte très bien. Non seulement on ne la chasse pas, mais on l’invite à s’exprimer avec une complaisance souriante ; sur tous les plateaux, dans tous les médias. Si xénophobie, islamophobie, grossophobie, transphobie, etc., sont honnies… la puérophobie peut s’afficher, insolente. C’est une phobie au sens étymologique du terme : les enfants font peur.
Notre société ne sait plus leur accorder leur juste place, on le voit du reste, à l’extrême, avec la justice des mineurs. Elle a oublié qu’il faut, comme aux jeunes plants, un tuteur, qu’il y a une heure à laquelle il faut les envoyer au lit, et qu’il faut parfois leur intimer gentiment l’ordre de baisser d’un ton à table quand on ne s’entend plus. Elle préfère ne pas en avoir plutôt que les supporter. Il m’est arrivé plusieurs fois de me voir refuser une location pour mon nombre d’enfants, parce que le propriétaire avait « peur ». L’agence immobilière ne me l’a pas caché, preuve supplémentaire que la « discrimination puérophobe » est socialement admise.
« Dissuader les jeunes filles de devenir mères est une maltraitance », écrivez-vous. N’est-ce pas aussi leur liberté ? Est-ce à dire que nous sommes conditionnées à ne plus avoir d’enfant ?
C’est une institutrice qui me l’a fait remarquer : elle s’étonnait que tant de jeunes filles prétendent aujourd’hui ne pas vouloir d’enfants alors que toutes les petites filles dans sa classe de maternelle souhaitaient devenir mamans un jour. Il suffit de leur poser la question, me disait-elle : « qui veut être maman plus tard ? » pour qu’elles lèvent le doigt très haut. Que s’est-il passé dans l’intervalle ?
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On dit que l’instinct maternel est pure construction sociale. Sur qui le conditionnement social, qui comme tous les conditionnements, naît de l’appropriation progressive au fil du temps, a-t-il eu le temps d’opérer ? Les filles de 5 ans, ou celles de 25 ? Si l’instinct maternel était une construction sociale, les proportions seraient inversées : c’est la fillette de maternelle, plus proche de l’état de nature, qui refuserait la maternité.
« Il y a cette idée diffuse qu’une famille nombreuse serait toujours un non-choix subi par une pauvre femme dépassée et un peu frustrée »
Vous êtes mère de famille nombreuse. Quel regard la société porte-t-elle sur vous ?
La vraie marginale, c’est moi, au sens propre du terme : je n’ai pas assez de cases dans les formulaires et suis obligée d’écrire dans la marge ! Il y a cette idée diffuse qu’une famille nombreuse serait toujours un non-choix subi par une pauvre femme dépassée et un peu frustrée, comme si cerveau et utérus étaient inversement proportionnels. C’est du reste ce qu’avait dit Emmanuel Macron en 2018 à l’Assemblée générale de l’ONU : « Montrez-moi une femme parfaitement éduquée qui décide d’avoir 7, 8 ou 9 enfants ».
Vous proclamez votre fierté d’être mère. Qu’est-ce que la maternité a transformé chez vous ?
Je ne dirais pas qu’elle m’a transformée, je suis restée la même : j’aime toujours lire, sortir, rire, discuter… Je ne me suis pas dissoute dans la maternité. Néanmoins, elle m’a augmentée. Mais si l’homme augmenté d’Elon Musk l’est par l’intelligence artificielle, la femme augmentée par la maternité gagne en intelligence naturelle, celle du cœur : en humanité.
Est-ce encore possible de réenchanter la maternité, comment ?
Il ne faudrait pas grand-chose. Les femmes corsètent leur potentialité maternelle comme La Mère aux monstres dans la nouvelle de Maupassant. Comme au XIXe siècle, il faut la cacher. Il suffirait d’enlever ce corset pour la libérer. Les femmes politiques pourraient y contribuer. J’en cite beaucoup dans mon livre qui avouent, si on cherche, tous les bienfaits qu’elles ont tiré de leur maternité, mais elles n’osent pas la valoriser dans leur combat politique car la bien-pensance ne le permet pas. À défaut, d’autres qui ont voix au chapitre dans les médias peuvent le faire. Comme les journalistes : c’est votre cas !
Yes Kids, La colère d’une mère face aux nouveaux diktats de la famille, Gabrielle Cluzel, Fayard, 208 pages, 21,50 euros.
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