Ils sont rares, ceux qui avancent sans artifice, sans maquillage, sans rien d’autre qu’eux-mêmes ; ceux qui disent bonjour ou au revoir sans perdre ni des yeux, ni du cœur les amis de toujours ou les rencontres de passage. Alain Prost n’est pas fait du même bois que les autres hommes. Il l’admet. Il n’en tire aucune vanité.
MyCanal propose depuis plusieurs semaines un documentaire sobrement appelé Prost qui retrace sa vie, son œuvre en six épisodes de vingt-six minutes. Il est recommandé de regarder le film un mouchoir à la main, non qu’il soit triste mais parce qu’Alain Prost est bouleversant.
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L’unique champion du monde français de F1 est venu cette semaine sur CNews afin de partager avec les téléspectateurs les confidences d’un parcours unique. Il a parlé d’une voix basse et douce. Elle détonne avec le bruit et la fureur des circuits quand les Formule 1 tournent à 300 km/h. Alain Prost a évoqué son enfance, sa grand-mère arménienne qui échappa au génocide, le cancer de son frère Daniel quand Alain n’avait pas 14 ans : « Je suis devenu adulte avant l’heure », dit-il. Il dit aussi : « Comment ai-je pu faire ça ? », quand il regarde sa carrière, ses quatre titres de champion du monde entre 1985 et 1993, ses 51 victoires en grand prix : « Je n’avais pas d’ambition. Je voulais être professeur de gym. J’aurais pu travailler dans l’atelier avec mon père. » Ne croyez pas que Prost prenne une posture, qu’il joue la fausse modestie.
C’est autre chose. « L’ambition prend aux petites âmes plus facilement qu’aux grandes comme le feu prend plus aisément à la paille, aux chaumières qu’aux palais. » Voici une citation de Chamfort que j’ai découverte il y a très longtemps et à laquelle je pense souvent. Le destin n’est pas une ambition. Croyez-vous que le général de Gaulle aurait imaginé gouverner la France sans le 18 juin 1940 ? Non ! Il voulait seulement la sauver ! De Gaulle n’avait pas d’ambition ; il avait un destin.
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L’étoile de Prost
L’été 1969 est resté dans l’histoire. Armstrong a marché sur la Lune. Prost a 14 ans. Il est en vacances avec ses parents sur la Côte d’Azur. Son frère Daniel est atteint d’une tumeur au cerveau. Alain rêve de football, Daniel de karting. Sous le soleil d’Antibes, une compétition amicale est organisée. Les frères Prost s’inscrivent au départ. Alain n’a jamais piloté. Il a un bras dans le plâtre. Il gagne la course. Le destin frappe à la porte. Le destin et non pas le hasard : « J’ai vu ce jour-là une étoile. Et je n’ai rien dit à personne. » Prost suivra cette étoile. Un commandement tombait du ciel. Daniel meurt en 1986. Prost ou l’histoire de deux frères qui ne sont plus qu’un. Aujourd’hui encore, il dit à sa fille que « c’est un autre qui a accompli ce qu’il a réalisé », comme si jamais il n’avait tenu le volant de sa vie. Prost a gommé l’ego. Reste l’humilité. « La plus grande fierté de ma carrière, c’est la première partie, après l’enfance, pour arriver à la Formule 1, plutôt que les titres. Ça paraît assez incroyable. Mais c’est ce que je pense. » Le chemin serait-il plus important que l’objectif ?
Alain Prost ne cherche jamais à séduire, c’est pourquoi il plaît infiniment
Les ambitieux, les volontaristes, les mégalomanes gouvernent le monde. Hier comme aujourd’hui. Ils ne croient jamais qu’un autre qu’eux-mêmes soit présent là où ils sont. Ils utilisent la séduction comme une arme. Séduire n’est jamais loin de mentir. Les séducteurs occupent la place. Mais qu’en font-ils ? Alain Prost ne cherche jamais à séduire. Et c’est pourquoi il plaît infiniment.
« Ça fait du bien d’entendre un homme comme Monsieur Prost », ai-je lu à plusieurs reprises sur mon smartphone après qu’il a quitté l’émission. « Quelques grammes de délicatesse dans ce monde de brutes », annonçait une ancienne publicité pour le chocolat dans les années 1980.
Il est exact qu’Alain Prost soit inspirant.
« Ne te trompe pas, m’explique un camarade qui navigue entre Freud et Lacan, ce que tu aimes chez Prost, ce n’est pas tant ce qu’il dit que toi quand tu l’écoutes…
– C’est-à-dire ?
– Ce que tu aimes, c’est toi ! L’état dans lequel tu es plongé quand il te parle…
– C’est énorme…
– Fais pas ton Luchini ! Réfléchis deux secondes ! Quand tu dis : « Je n’aime pas untel ou untel », ce n’est pas tant la personne que tu attaques que la détestation de toi quand tu es avec lui ou avec elle. Tu comprends ? Il y a des êtres toxiques. Ils ont des mauvaises ondes. Et tu te détestes à leur contact ! Capito ?
– C’est énorme… »
Et Dieu dans tout ça ?
Je préfère Cyrano de Bergerac à Lucien de Rubempré. Et je préfère aussi Alain Prost à Ayrton Senna, même si l’un ne va pas sans l’autre, même s’ils sont inséparables, indissociables, qu’ils ont écrit à Monza, à Silverstone, à Monaco les plus belles pages de la Formule 1. « Je suis croyant comme Senna, dit Prost. Je fais ma prière tous les soirs. Depuis toujours. Mais jamais je prendrai Dieu comme une aide. Senna pensait que Dieu le protégeait. Quelqu’un qui est aidé par Dieu, je ne touche pas. C’est compliqué pour moi. » Derrière ces mots, il y a un monde et deux tempéraments : un homme qui choisit Dieu et un autre qui pense que Dieu l’a choisi. Il faut être fou ou génial pour imaginer que Dieu décerne les oscars. Ayrton Senna était les deux.
Senna est mort il y a trente ans. Alain Prost a célébré ses 70 ans le 24 février dernier. Il n’a pas pris un kilo depuis 1993. Il garde une allure de jeune homme, taille fine, tee-shirt clair et veste cintrée. Pourquoi son passage à « L’Heure des pros » nous a-t-il tant touchés ? Pourquoi Laurence Ferrari est-elle venue le saluer les larmes aux yeux ? « Je n’ai pas fait tout juste mais je n’ai rien fait de faux », conclut-il quand il examine sa vie. Prost a trébuché sans doute. Il a commis des erreurs évidemment. Mais il a marché en pleine lumière : « C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui », dirait Alfred de Musset.
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