« C’est un grand événement pour Olivier et pour nous tous », dit-il au bout du fil d’une voix douce et apaisée. Un peu désolée aussi : retenu par des obligations professionnelles, Romain Giroud ne sera pas au Stade de France ce soir pour le vivre aux côtés de son frère. Mais leurs parents Viviane et Denis, l’épouse du joueur Jennifer, leurs enfants Jade, Evan, Aaron, Aria ainsi qu’une grande partie du cercle des proches prendront place en tribunes parmi les 80 000 spectateurs. Lui sera présent « en prière, comme toujours », réaffirmant la profonde foi chrétienne de la famille.
Avant France-Croatie, la Fédération française de football (FFF) promet « un bel hommage » au champion du monde 2018, qui aura inscrit 57 buts en 137 sélections de 2011 à 2024. « Ce moment viendra ponctuer la fin d’une histoire formidable, d’une tranche de vie où Olivier aura été béni au-delà de ce qu’il aurait pu espérer », assure son aîné de neuf ans (Romain aura 48 ans en juin, Olivier 39 ans cet automne).
L’histoire est désormais connue, le grand public l’avait découverte l’an dernier dans un bouleversant documentaire* où la mère de la star révélait qu’elle n’avait pas désiré Olivier, son quatrième enfant après Bertrand, Romain et Bérangère. « Il a fallu qu’elle m’accepte, qu’elle bataille contre elle-même alors que je n’étais pas prévu, avait alors confié le joueur au JDD. Je ne suis pas psychothérapeute, mais il y a peut-être un lien à établir avec mon parcours. »
« Olivier était un diamant brut dans lequel il fallait tailler »
Devenu le chouchou dans la maison de Froges, à une vingtaine de kilomètres de Grenoble, le petit dernier voue une admiration sans bornes à Romain, alors talentueux capitaine des Henry, Trezeguet et autre Anelka en équipes nationales de jeunes et sur le point de devenir footballeur professionnel à Auxerre puis Rennes avant de tout plaquer, pas fait pour le milieu, pas prêt non plus à en accepter les codes ni les sacrifices. Sans que l’on puisse parler de « projet familial », Olivier prendra le relais, à son rythme, profitant des précieux conseils du frangin.
« Tout au long de son ascension et de sa carrière, j’ai essayé d’être une sorte de garde-fou bienveillant, confie Romain. Je me suis mis à sa disposition, en tentant toujours d’intervenir sans prendre trop de place ni marcher sur ses plates-bandes. Olivier est un footballeur pas comme les autres mais il a son ego et sa cour, c’est normal, c’est le système qui veut ça. Je ne me suis pas mêlé des domaines qui n’étaient pas de ma compétence, même quand j’avais des choses à dire. J’ai apporté le soutien indéfectible du grand frère, fan de son petit frère, croyant en lui comme pas possible. Je pense avoir été un moteur pour lui, je l’ai toujours valorisé. Pour moi, “Olive”, c’est le meilleur joueur du monde. »
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De Grenoble à l’AC Milan en passant par Istres, Tours, Montpellier, Arsenal et Chelsea, le benjamin, désormais installé à Los Angeles, aura tout fait pour lui donner raison. La Coupe du monde en Russie restera son absolu, mais il ne faut pas oublier la Ligue des champions avec Chelsea en 2021, les titres nationaux en France et en Italie, les Coupes, les trophées de meilleur buteur et le prestigieux Prix Puskas du plus beau but de l’année attribué en 2017 pour une impensable reprise acrobatique du talon avec Arsenal. Un goût pour le beau geste qui remonte à l’enfance. « Un jour, se remémore Romain, j’étais au bord du terrain à Froges avec un ami aujourd’hui disparu. Olivier nous met un but hallucinant. On se regarde interloqués : “Il a un c.., le gamin !” Ça m’est resté. Au fil des années, je me suis dit : “En fait, soit il a une chance incroyable, soit il a un p….. de talent.” C’était ça, la bonne réponse. »
Pourtant, la trajectoire du licencié en STAPS (sports) de l’université de Grenoble – un parachute professionnel si le foot avait capoté – aura été tout sauf rectiligne. Les débuts professionnels sont laborieux, les deux frères se brouillent même un temps. « À l’époque, je n’aurais jamais eu la prétention de penser qu’il pourrait devenir le meilleur buteur de l’histoire des Bleus. Mais faire une belle carrière, oui. Je l’ai su quand il enquillait les buts à Grenoble, en réserve. J’ai vu son potentiel technique et athlétique. Il était un diamant brut dans lequel il fallait tailler. »
« Cet événement au Stade de France marque la fin d’une histoire »
À 20 ans, Olivier Giroud quitte le cocon isérois. « Cette première grande décision, nous l’avons prise lui et moi. Pour les autres, il a agi seul avec son agent [Michaël Manuello, qui gère sa carrière depuis son passage à Tours entre 2008 et 2010, NDLR] même si on s’est toujours concertés : “Qu’est-ce que t’en penses, Romain ?” Je me souviens d’un moment rare, près de chez moi à Grenoble. On était allé faire un footing tous les deux. Il allait quitter Arsenal pour Chelsea mais Dortmund était sur les rangs. On en avait parlé, puis on avait prié pour faire le meilleur choix possible. »
Les deux hommes ne partagent pas qu’une foi et une fraternité : leur ressemblance physique est frappante. Issus d’une famille franco-italienne avec deux grands-mères originaires de Gruaro, près de Venise (« Là où on mange la polenta avec du veau à la tomate », sourit-il), ils ont eu l’occasion de renouer avec leurs racines quand l’attaquant s’est engagé à l’AC Milan, en 2021. « Du côté français, on a hérité une sorte de pudeur, de bonne éducation. Du côté italien, je dirais le sens du spectacle. Il y a deux Olivier, en fait. Celui dans la vie, très poli, accessible, réfléchi, et celui sur le terrain, showman, qui déchaîne les passions. »
De ces trois saisons en Lombardie, Romain garde des souvenirs privilégiés. Car le nutritionniste installé sur la Côte d’Azur, peu disert sur ses années de sportif, n’est pas à proprement parler un fou de ballon rond (« J’aime le jeu, pas le système »). Il se définit comme « atypique », confie n’avoir ni télé ni compte sur les réseaux sociaux et ne regarde que très rarement les matchs. Mais San Siro, c’était différent. « L’épisode milanais, c’était la cerise sur le gâteau. Le contexte collait vraiment à la peau d’Olivier. Il a rencontré ses origines et s’est exprimé d’une manière vraiment incroyable avec des buts venus d’ailleurs. J’allais au stade avec un grand bonheur, l’ambiance y était folle. »
Malgré l’éloignement géographique et le décalage horaire avec la Californie, les deux frères se parlent « une à deux fois par semaine ». Romain ne cache pas qu’Olivier, qui a très peu joué dernièrement sous ses nouvelles couleurs du Los Angeles FC (le club n’a pas donné suite aux demandes répétées du JDD), traverse une « période charnière qui n’est pas forcément confortable ». Il poursuit, suggérant une fin de carrière imminente : « “Olive” est à la croisée des chemins. Cet événement au Stade de France marquera la fin d’une histoire, avec la nostalgie qu’elle implique. Il terminera la saison à Los Angeles, c’est sûr [il est sous contrat jusqu’en décembre, NDLR] mais ce retour à Paris est une sorte de tour d’honneur pour couronner son parcours, un dernier passage dans le tourbillon du football de très haut niveau qu’il a quitté en allant aux États-Unis. Les Bleus ont toujours été le fil conducteur de sa carrière, sa retraite internationale avait déjà été une première fin de cycle. »
Avant que son petit frère ne reçoive l’ovation du Stade de France, Romain Giroud tient à nous faire passer un dernier message, très ému. « La chose dont je suis le plus fier le concernant n’est pas sportive, je l’ai apprise récemment, car Olivier reste très discret là-dessus. Quand il était à Arsenal, une petite fille très malade rêvait de le rencontrer. Elle habitait loin de Londres. Olivier a tout organisé, il a payé le voyage aux parents et à la petite pour passer du temps avec eux. Elle a fermé les yeux quelques semaines après. Ça m’a énormément touché. Mon frère, c’est ce cœur sur la main, c’est pour ça aussi que les gens l’aiment. »
*« Giroud », par David Perrier et Dominique Rouch, toujours disponible sur MyCanal.
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