Remaniement surprise à la direction d’EDF : brutalement remercié, son PDG Luc Rémont est remplacé par Bernard Fontana, qui dirige Framatome et Arabelle Solutions, deux filiales du groupe. Un fin connaisseur des arcanes de la filière. « Luc Rémont a récupéré une entreprise que l’État ponctionne dès qu’elle fait des bénéfices, et qui doit s’endetter en cas de coup dur. Il a essayé de renverser le rapport de force, et il a perdu », glisse anonymement un salarié de Framatome au JDD. Une décision aussi soudaine interroge : quel message envoie l’État, et qu’en est-il concrètement de l’avancée des EPR 2 ?
Il y a trois ans, depuis Belfort, le président de la République actait le grand retour du nucléaire, rompant avec des années de gel de la filière. Il annonçait la construction de six réacteurs de nouvelle génération EPR 2, assortie d’une option pour huit supplémentaires pour une mise en service à l’horizon 2043-2050. Un virage assumé, dicté par l’urgence de la décarbonation et la nécessité d’anticiper le vieillissement du parc existant. Reste à savoir si l’exécutif saura gérer le système électrique avec la prévoyance d’un bon père de famille, en planifiant dès aujourd’hui le renouvellement de ces réacteurs.
L’État joue contre son camp
Les premiers signaux ne sont pas rassurants. La nomination, ce mercredi, de Dominique Voynet, surnommée la « fossoyeuse du nucléaire », au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire a provoqué des réactions consternées. En tête, Antoine Armand, ex-ministre de l’Économie et député de Haute-Savoie, et Raphaël Schellenberger, député du Haut-Rhin, ont demandé à Yaël Braun-Pivet, à l’origine de ce choix, de « reconsidérer la nomination » de celle qui déclarait encore en décembre 2023 vouloir « saborder le nucléaire français ».
De même, lors du Conseil de politique nucléaire (CPN) lundi dernier, l’Élysée a rappelé l’électricien à l’ordre : accélérer le calendrier, réduire les coûts et présenter d’ici la fin de l’année « un chiffrage engageant, en coûts et en délais ». Luc Rémont était sommé de « consolider la maîtrise industrielle » du programme. La dégradation des relations entre l’État et le désormais ex-PDG a eu raison de sa fonction, à trois mois de la fin de son mandat.
L’enjeu acter l’investissement avant la présidentielle 2027
Malgré les secousses internes, EDF peaufine ses plans, sans se hâter. Le géant français de l’électricité est toujours à l’œuvre sur le design de ses réacteurs nouvelle génération, un projet confié à ses filiales, Edvance et Framatome. « On est entrés dans la phase de conception détaillée du projet : on vient préciser le détail du design des EPR 2, notamment des principaux bâtiments de l’îlot nucléaire », précise au JDD Nicolas Machtou, directeur des programmes nucléaires d’EDF. Pas question de reproduire le fiasco de Flamanville, cet EPR qui devait incarner l’excellence du nucléaire français mais dont le chantier s’est enlisé dans les retards, les surcoûts et dysfonctionnements. Une mésaventure dont le groupe peine à se remettre, après avoir lancé la construction de l’EPR avant d’avoir finalisé son design, ce qui l’a contraint à des ajustements en temps réel aux lourdes conséquences financières.
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Une facture compte double
Dans un rapport au vitriol de janvier 2025, la Cour des comptes critique la crédibilité du projet porté par EDF, pointant du doigt une accumulation de risques qui pourraient compromettre la construction des six réacteurs EPR 2. La France est encore « loin d’être prête », assènent les magistrats, dénonçant des incertitudes financières et techniques. Le scepticisme de la rue Cambon repose en grande partie sur l’incapacité d’EDF à tenir les coûts et les délais par le passé. Après Flamanville, finalement achevé avec douze ans de retard, EDF sera-t-il enfin à la hauteur de ses engagements ?
Avec l’État, le courant passe mal sur le financement des six premiers EPR 2. EDF évalue à 67,4 milliards d’euros le coût de construction des six réacteurs EPR 2, soit une augmentation de 30 % par rapport à l’estimation d’avril 2021 qui s’élevait à 51,7 milliards d’euros. En réalité, la facture avoisinerait aujourd’hui les 100 milliards, bien qu’aucune estimation officielle n’ait encore été communiquée. « Vous n’avez pas les mêmes chiffres si vous parlez d’euros 2015, d’euros 2020 ou d’euros 2025. Nous avons à date des devis de coûts suffisamment précis pour réaliser le montage financier du projet. Naturellement, ces devis de coûts seront encore affinés dans les mois qui viennent jusqu’à la décision finale d’investissement qui devrait être prise au deuxième semestre 2026 », détaille EDF.
D’ici la fin 2025, le géant de l’électricité devra fixer le nouveau coût prévisionnel et le calendrier des six nouveaux réacteurs, avec un impératif de compétitivité. L’enjeu est de taille : acter la décision finale d’investissement avant la présidentielle de 2027, pour éviter tout risque de flottement politique. Afin de sécuriser le financement, le gouvernement se prépare dès cet été à engager des discussions avec la Commission européenne, en collaboration étroite avec EDF sur une demande d’aide d’État. Lundi dernier, le CPN a tranché sur les grandes lignes du financement : un prêt bonifié de l’État couvrira au moins la moitié des coûts de construction. Un modèle calqué sur celui validé par Bruxelles pour la centrale tchèque de Dukovany, financée en grande partie par un prêt public à taux zéro.
Reste à savoir : à quand le coup d’envoi ? « Quoi qu’il en soit, nous poursuivons notre travail ! » défend l’énergéticien. À Penly, les premiers travaux préparatoires avancent, des contrats ont été signés pour l’approvisionnement en pièces. Et la main-d’œuvre reste mobilisée. « Il n’y a pas de stop and go » (série d’arrêts et de redémarrages), assure Nicolas Machtou. Un impératif pour préserver les compétences : de Flamanville à Hinkley Point C, puis à Sizewell C en Angleterre, avant un retour en France sur les sites de Penly, Gravelines et Bugey, les équipes se relaient pour assurer la continuité de leur savoir-faire.
Le spectre des Gafam
À l’échelle internationale, EDF ne vise pas une expansion mondiale du nucléaire, mais concentre ses efforts sur l’Europe, dans une logique d’industrialisation en série. « Avant la fin de la construction des six premiers réacteurs EPR 2, on aura décidé si l’on prolonge le programme avec huit réacteurs supplémentaires, en partenariat avec notre actionnaire », glisse Nicolas Machtou. Car au-delà du programme actuel, il faut déjà penser au renouvellement du parc. EDF insiste : nucléaire ou renouvelable, l’essentiel est de maintenir une énergie décarbonée. Et revendique aussi répondre aux enjeux de souveraineté énergétique : « Disposer de nos propres centrales permet d’éviter l’importation du pétrole et du gaz. Ça renforce notre souveraineté ». D’ailleurs, l’EPR est une technologie française qui utilise du combustible dont l’uranium transformé est majoritairement enrichi sur notre territoire.
« Disposer de nos propres centrales permet d’éviter l’importation du pétrole et du gaz. Ça renforce notre souveraineté »
Reste une inconnue : l’arrivée des Gafam sur le marché de l’énergie. Vont-ils faire de l’ombre à EDF ? Avec l’explosion des besoins en électricité liée à l’IA, leurs émissions de CO2 pourraient bondir de 30 à 50 % d’ici 2050. Trois scénarios se dessinent pour freiner la flambée de la consommation énergétique : réduire la demande en données, améliorer le rendement énergétique des centres ou augmenter la production d’électricité. Sans surprise, c’est ce dernier levier qui a, pour l’instant, les faveurs des géants du numérique. Ainsi débute une frénétique quête énergétique. Et certains mastodontes du numérique n’excluent plus d’investir eux-mêmes dans la production d’électricité, y compris dans le nucléaire.
EDF garde la tête froide : « Ce sont des SMR, “small modular reactor”, des petits réacteurs encore en développement : on en est encore loin. » Pas de rivalité en vue, bien au contraire. « Ce n’est qu’un accroissement du marché potentiel des centrales pour nous, donc c’est plutôt positif ». En clair, EDF ne s’inquiète pas de l’appétit grandissant des Gafam pour l’énergie et coupe court au débat : c’est une affaire de complémentarité plutôt que de concurrence.
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