Dans les rues d’Istanbul, la contestation gronde. L’arrestation du maire Ekrem Imamoglu a provoqué un soulèvement populaire d’une ampleur inédite depuis les manifestations de Gezi en 2013. Vendredi 21 mars, l’opposition turque a convoqué une « nuit de la démocratie », appelant à un grand rassemblement vers lequel affluaient plus de 100 000 personnes, malgré les avertissements du président Recep Tayyip Erdogan. Dans un climat de tension extrême, des manifestants scandaient : « Ne te tais pas, sinon ce sera bientôt ton tour ! » Tandis que des pancartes proclamaient : « N’ayez pas peur, le peuple est là. »
Face aux manifestants courageux, le pouvoir a réagi de façon particulièrement autoritaire : deux ponts et plusieurs grands axes menant à la mairie ont été fermés, tandis que des appels à manifester se multipliaient dans plus de 45 villes du pays. À Istanbul, c’est tout un peuple qui aspire à la démocratie qui se soulève. Comment ne pas soutenir ces hommes et ces femmes qui, au péril de leur liberté, réclament justice et respect des principes démocratiques ?
Le déclin démocratique de la Turquie ne date pas d’hier. Depuis son accession au pouvoir en 2003, Recep Tayyip Erdogan n’a eu de cesse d’affaiblir les contre-pouvoirs, de museler la presse et d’écarter ses opposants. Si, à ses débuts, il tenta de se rapprocher de l’Europe, il s’en est progressivement éloigné, préférant s’inscrire dans une logique de confrontation et de repli identitaire.
« Son interventionnisme en Libye par exemple, s’inscrit dans une logique expansionniste »
Aujourd’hui, Erdogan ne menace pas seulement son propre peuple lorsqu’il aspire à l’émancipation, il représente aussi une menace pour l’Europe. Il instrumentalise ses ressortissants installés en Allemagne, en France et ailleurs, en les mobilisant comme une force politique acquise à sa cause. À l’image du régime algérien, il se sert de cette diaspora pour peser sur la politique européenne, nourrissant ainsi un rapport de force malsain qui fragilise les nations européennes de l’intérieur.
Il faut que cela cesse. Il est impensable qu’un dirigeant puisse, en toute impunité, manipuler des citoyens européens pour mieux asseoir son pouvoir et étendre son influence. Son rêve impérialiste ne fait plus de doute. Comme Vladimir Poutine qui veut restaurer la « grande Russie », Erdogan aspire à recréer la puissance ottomane. Son obsession de lier l’Islam à son pays en est une preuve éclatante. L’exemple le plus symbolique en est la transformation de Sainte-Sophie en mosquée, effaçant ainsi l’héritage laïc de Mustafa Kemal Atatürk, qui en avait fait un musée en 1934, offert à l’humanité. Ce n’est pas seulement un changement religieux, mais une réinterprétation politique du passé qui vise à glorifier l’Empire ottoman et à effacer les réformes libérales de la République turque.
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Erdogan ne cache pas ses ambitions. Son interventionnisme en Libye par exemple, s’inscrit dans une logique expansionniste. Son mépris pour les Kurdes, sa répression féroce contre l’opposition, son palais présidentiel démesuré – quatre fois plus grand que Versailles – tout concourt à dresser le portrait d’un dirigeant ivre de pouvoir, dont la répression menace tant son pays que l’équilibre régional. Aujourd’hui, les purges s’intensifient : militaires, professeurs, étudiants, journalistes, députés, personne n’est épargné. Mais Erdogan vacille : les sondages sont en baisse et les maires d’Istanbul et d’Ankara gagnent en popularité.
Le dessein de celui qui se rêve en sultan de l’empire ottoman est clair depuis longtemps. En 1998 déjà, il citait ces mots tirés d’un poème nationaliste : « Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats. » Cette vision, à la fois belliqueuse et théocratique, guide encore aujourd’hui son action.
Face à cette menace, notre soutien aux démocrates turcs doit être sans faille. L’avenir de la Turquie et celui de l’Europe sont plus liés qu’on ne veut bien le croire. L’avenir de l’Europe repose ainsi sur sa capacité à assurer sa propre sécurité et à répondre aux menaces qui pèsent sur elle. Alors que le débat sur la défense européenne ressurgit dans le contexte du conflit entre la Russie et l’Ukraine, il est impératif de ne pas limiter cette réflexion à l’Est de l’Europe. La fragilité de l’Union ne réside pas uniquement dans sa frontière orientale, mais aussi dans l’influence grandissante de puissances autoritaires qui cherchent à instrumentaliser les failles du vieux continent.
Le président turc, par son jeu trouble avec la Russie, son mépris des principes démocratiques et son utilisation des diasporas comme levier d’influence, constitue un facteur d’instabilité. À terme, il pourrait s’imposer comme un adversaire de l’Europe et de ses valeurs. Pour ne pas subir, nous devons dès maintenant accélérer la construction d’une défense européenne unie et crédible. Cela suppose de fédérer les forces armées du continent, de renforcer notre autonomie stratégique et d’investir massivement dans nos capacités militaires. Ce chantier, décisif pour l’avenir de l’Europe, doit être porté avec détermination par la France et nos partenaires européens. Car l’histoire nous l’a appris : la paix et la liberté ne se préservent que par la force et la volonté politique.
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