Le JDD. Vous êtes depuis peu au ministère de la Justice, et vous vous êtes rapidement intéressé au sujet des étrangers en prison. Quelle est la genèse de cette réflexion ?
Gérald Darmanin. Nous avons, en France, quelque 82 000 détenus pour 62 000 places. Avec l’indignité d’avoir plus de 4 000 détenus qui dorment sur des matelas au sol. C’est un grave problème qui pèse sur le travail des agents pénitentiaires, le respect des détenus et la lutte contre la récidive. Dès mon arrivée au ministère de la Justice, j’ai cherché comment diminuer cette surpopulation carcérale. Il y a le sujet de la construction de places de prison, mais également l’analyse de la sociologie des détenus. Il y a par exemple un quart des détenus qui est atteint de troubles psychiatriques. Leur place est dans des structures spécialisées. Mais nous avons aussi, et ce sont parfois les mêmes, plus de 19 000 détenus étrangers, soit 24,5 % de la population carcérale : 3 068 ressortissants de l’Union européenne, 16 773 hors-UE. Nous avons même 686 détenus dont on ne connaît pas la nationalité… Le calcul est simple : si ces étrangers, ou même une partie d’entre eux, purgeaient leur peine dans leur pays, nous n’aurions plus de problème de surpopulation. Sans avoir à libérer ceux qui ne doivent pas l’être.
Comment comptez-vous réussir avec des situations administratives, judiciaires, diplomatiques très différentes ?
Avec la détermination que vous me connaissez. J’ai d’abord constitué une mission spécifique chargée des étrangers en prison au sein du ministère de la Justice. C’est la première fois que ces sujets sont traités dans l’administration pénitentiaire. C’est révélateur d’une certaine culture qui manquait au ministère de la Justice. Cette mission, qui coordonnera la question des détenus étrangers, doit d’abord permettre de généraliser l’identification des détenus dès leur entrée en prison, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Elle devra également organiser quotidiennement le départ de ces détenus dans leur pays d’origine.
Comment est-ce que ce sujet était précédemment appréhendé ?
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Localement, sans aucune centralisation. Chaque établissement pénitentiaire prenait contact avec la préfecture et prévenait qu’un étranger allait sortir, qu’il était dangereux, et qu’il serait peut-être bien de l’expulser. Désormais, avec l’instruction que j’ai envoyée ce samedi, je demande que tout soit fait pour l’éloignement systématique des étrangers sortant de prison et pour les détenus pouvant terminer leur peine dans leur pays d’origine.
Êtes-vous certain d’être suivi sur le terrain ?
J’ai confiance dans les agents pénitentiaires et les procureurs de la République qui agissent sous mon autorité. Ils connaissent l’état de la surpopulation carcérale et sont les premiers à la subir.
Sur le sujet des étrangers en prison, n’allez-vous pas avoir le même problème qu’avec les OQTF, c’est-à-dire des décisions sans effet ?
L’éloignement des étrangers est toujours difficile. Je constate cependant, en dehors de l’Union européenne, que la difficulté principale n’est pas l’accord du pays d’origine mais l’accord du détenu. Ce que nous devons et que nous allons changer.
Et que manque-t-il pour le faire ?
Il y a deux types de détenus étrangers. D’abord, les Européens, avec des grosses cohortes, notamment de certains pays de l’Est. Il existe un règlement européen que la France n’applique pas et qui permet aux États membres de transférer des ressortissants détenus, à condition de reprendre les siens. Et ce, sans le consentement du détenu. En droit français, ce sont les parquets qui engagent ces démarches. Dans les faits, ils n’ont ni le temps ni l’organisation pour s’en charger. C’est pourquoi, comme la réglementation européenne le permet, nous allons modifier le Code de procédure pénale pour que l’administration pénitentiaire puisse procéder à ces démarches.
Que faire avec les détenus extra-européens, plus nombreux encore ?
Nous avons parfois des conventions mal négociées. Prenons l’exemple du Maroc : il y est écrit que le détenu doit donner son accord. Or, les détenus marocains ne donnent jamais le leur. Pourtant, certains pays, comme la Belgique, ont des conventions avec le Maroc qui permettent de se passer de l’avis du détenu. J’ai donc engagé la discussion avec mon homologue et je vais adresser une demande similaire à l’intégralité de mes homologues. Cette question doit se poser de ministre à ministre, sans que le détenu n’ait son mot à dire.
Avez-vous un avis sur l’externalisation ou la sous-traitance de l’emprisonnement à l’étranger, comme le Danemark le fait avec le Kosovo par exemple ?
L’avantage qu’a le Danemark, c’est qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes règles européennes que nous… Mais c’est une solution que j’étudie, pour laquelle je n’ai pour le moment aucun contre-avis juridique. Les Pays-Bas essaient de le faire au sein de l’UE. La Suède hors de l’UE… Je suis cela de près et je cherche des pays à visiter dans cette optique.
Il existe également une libération anticipée, dite « expulsion » : le détenu est libre plus tôt, sous condition d’expulsion. Mais dans les faits…
Les libérations conditionnelles expulsion nécessitent que l’étranger incarcéré ait purgé la moitié de sa peine en France, que son identité soit établie et qu’il fasse l’objet d’une interdiction de territoire, ce dont la « mission étrangers » devra veiller, en lien avec les préfets. Il appartient ensuite au juge de l’application des peines de prononcer la libération conditionnelle expulsion. Nous allons lancer un important travail avec des pays partenaires pour fluidifier cette procédure, et ainsi, obtenir les laissez-passer consulaires nécessaires à l’éloignement de ces étrangers.
Dans le même temps, les détenus étrangers peuvent renouveler leurs titres de séjour en prison… N’est-ce pas contradictoire ?
C’est en contradiction avec la loi immigration que j’ai fait voter : toute personne qui a été condamnée ou dont la peine encourue est de trois ans minimum se voit retirer ou dégrader son titre de séjour. Je vais donc donner des instructions claires aux parquets pour faire appliquer, en lien avec les préfets, cette disposition, et donc faciliter l’expulsion des personnes en situation irrégulière.
À condition que les pays d’origine collaborent… Vous évoquez des pays avec lesquels c’est possible, mais l’actualité nous montre que ce n’est pas toujours le cas…
Bien sûr qu’il y a un sujet avec l’Algérie en ce moment. Mais cela ne doit pas nous empêcher de travailler avec le Maroc, la Tunisie, mais également avec le Kosovo, l’Albanie, le Brésil, la Chine ou plus largement l’Asie du Sud-Est. Tous ont des ressortissants condamnés en France pour trafic de stupéfiants, proxénétisme, blanchiment d’argent, criminalité organisée… Inversement, des ressortissants français peuvent y être détenus ou y chercher refuge. Nous allons donc installer davantage de magistrats de liaison, dans des pays comme la Colombie ou la Chine, pour accélérer les procédures. Nous n’en avions par exemple qu’un seul installé en Thaïlande pour gérer toute l’Asie du sud-est, alors que les dossiers de narcotrafic ou de pédocriminalité concernent largement cette région.
Bruno Retailleau est courageux et poursuit ce que j’avais déjà commencé
La première nationalité étrangère, en prison, est la nationalité algérienne… Est-ce que le bras de fer entamé par Bruno Retailleau est une bonne réponse ?
Je soutiens le ministre de l’Intérieur de tout mon poids politique. Il est courageux et poursuit ce que j’avais déjà commencé. Nous avions déjà des relations très fraîches avec l’Algérie quand j’étais à Beauvau et ce pays avait rappelé son ambassadeur et suspendu sa coopération. L’Algérie, qui est le plus grand pays d’Afrique, et dont la voix compte dans le concert des nations, multiplie malheureusement les actes hostiles à l’égard de la France. Il est donc nécessaire de changer de ton dans la mesure où ils ne reprennent pas leurs ressortissants. Les règles internationales et les jurisprudences de nos tribunaux suffisent. Il n’y a pas besoin que des pays mettent en plus leurs conditions, cela devient inacceptable. Mais l’honnêteté nous pousse à dire que l’Algérie n’est malheureusement pas la seule dans ce cas-là.
Que pensez-vous de la position d’Emmanuel Macron qui refuse de dénoncer l’accord de 68 de manière unilatérale ?
Je peux témoigner qu’Emmanuel Macron a toujours été partisan de la fermeté dans la lutte contre l’immigration irrégulière. Il m’avait d’ailleurs permis de réduire les visas pour le Maghreb, de tenter d’expulser des Tchétchènes, des citoyens russes, alors que la CEDH nous condamnait pour ces expulsions !
C’est donc bien que la Russie accordait les laissez-passer consulaires… Or vous avez affirmé le contraire récemment !
Elle en accordait, comme l’Algérie en accorde. Mais elle en refusait aussi beaucoup. Je n’ai jamais dit que Vladimir Poutine alimentait ou contrôlait l’islamisme, contrairement à ce que j’ai entendu. Mais nous savons que la Russie refusait et refuse nombre de ses ressortissants, pourtant islamistes, qui sont sur notre sol. Or la menace islamiste de cette région, celle de l’État islamique au Khorasan, est désormais sans doute la plus dangereuse. Ils ont sans doute les capacités de commettre un attentat projeté comme nous l’avions subi depuis la Syrie. Que la Russie refuse l’expulsion de ses ressortissants dangereux est tout aussi inacceptable.
Si les choses ne bougent pas, il faudra alors dénoncer l’accord de 68
Revenons à Emmanuel Macron : comment expliquer ce que tout le monde a compris comme un désaveu de Bruno Retailleau sur l’Algérie ?
Le président de la République est compétent pour définir la politique étrangère de la Nation. Quand on est gaulliste, on respecte l’esprit et la lettre de la Constitution du Général. Et la réponse graduée annoncée par Bruno Retailleau est la bonne. Avant de dénoncer des accords, procédons par étapes. Il faut considérer l’intégralité de nos intérêts en Algérie. Avec l’Algérie, nous coopérons aussi contre l’islamisme. Même si le pouvoir algérien n’aime pas la France, nous avons aussi l’islamisme comme ennemi commun. Personne ne peut oublier que l’Algérie a aussi été une grande victime de l’islamisme.
Mais alors, comment répondre ?
Nous avons toujours un ambassadeur là-bas. Peut-être faudrait-il le rappeler comme eux ont rappelé le leur. Ensuite, il existe un accord très avantageux pour eux sur les passeports diplomatiques qui existent par milliers et permettent de venir en France sans visa. Il faut le dénoncer. Et puis, si les choses ne bougent toujours pas, il faudra alors dénoncer l’accord de 68.
Vous évoquiez également votre engagement contre le narcotrafic. La proposition de loi, qui sera votée mardi, a été édulcorée en commission, notamment pour ce qui concerne l’accès aux messageries cryptées. Est-ce encore utile ?
Le texte contient 50 articles ! Tous ceux que j’ai portés ont d’ailleurs été votés, parfois à l’unanimité. On a instauré un régime de détention à l’italienne, très dur, jamais vu en France, avec des prisons de haute sécurité. On a validé le statut du repenti, une vraie révolution qui a permis à des milliers de mafieux de parler en Italie. On a créé un parquet national dédié, adopté la visio en détention. Concernant l’accès aux messageries cryptées, c’est un débat ancien. Ce n’est pas la première fois que le Parlement refuse ce type de mesures. Déjà, dans les lois antiterroristes, ils s’y étaient opposés. Il y a toujours cette crainte : et si ces outils étaient un jour utilisés à des fins politiques ? Je comprends cette inquiétude, mais on ne peut pas en rester là : les écoutes téléphoniques « à la papa » ne fonctionnent plus à l’heure des messageries cryptées.
Pourquoi cela vous semble-t-il fondamental ?
Les trafiquants ne s’appellent plus sur une ligne fixe ! Aujourd’hui, tout le monde utilise les applications comme Signal, WhatsApp, Telegram. Alors, imaginez les délinquants qui utilisent des moyens de communication encore plus élaborés. Soyons lucides : les États étrangers ou les officines privées comme Pegasus ou NSO nous écoutent en violation totale des lois et des règlements. Ce que nous demandons, c’est que l’État français puisse le faire aussi pour des criminels et avec l’autorisation d’un juge !
Entre la vision libertaire et la vision sécuritaire, je suis du côté de la sécurité
Le crime organisé ne fait-il pas peser un vrai danger sur nos libertés… surtout si l’on traîne à réagir ?
C’est exactement ce que je pense. Entre la vision libertaire et la vision sécuritaire, je suis du côté de la sécurité. Parce que, sans elle, les autres libertés ne tiennent pas. Je me souviens du débat sur les vidéos algorithmiques pendant les JO, qui n’étaient même pas de la reconnaissance faciale ! C’était juste pour détecter un sac, une foule, un feu. Au début, on me disait non partout. Finalement, cette mesure est passée, et les JO se sont très bien passés, en partie grâce à cette technologie. Pas d’attentat, pas de débordement. La preuve que la technologie, lorsqu’elle est bien encadrée, nous aide.
La proposition de loi sur les mineurs délinquants arrive au Sénat cette semaine. Elle a déjà été assouplie elle aussi. Comment tenir les promesses de fermeté ?
Le texte initial déposé par Gabriel Attal a été renforcé par le débat et le gouvernement. Je le dis très clairement : il ne faut pas l’alléger au Sénat. Les mesures que j’ai annoncées seront ajoutées. La première, c’est le couvre-feu pour les mineurs. Et s’il y a violation de ce couvre-feu, c’est la privation de liberté ! C’est le modèle espagnol : dissuasif, proportionné, efficace. Deuxième mesure : faire entrer davantage la société dans la justice des mineurs. On veut expérimenter une nouvelle formule avec davantage d’assesseurs. Il faut inclure la société dans les décisions de justice. Et puis avec le rapporteur Francis Szpiner, nous travaillons à de nouvelles sanctions lorsque des mesures éducatives ne sont pas suivies par le jeune. C’est ce qui a fait défaut dans l’affaire du petit Elias. Et c’est ce que nous allons changer.
En effet, l’heure est grave à ce sujet…
L’État lui-même est très défaillant dans la lutte contre la pédocriminalité, les violences faites aux enfants, les placements judiciaires sans effets… c’est une honte absolue. Échouer là-dessus est un scandale. Ça aussi, je veux m’en occuper avant de partir, ce sera la priorité… Nous avons un devoir de protection de nos enfants et de les faire grandir dans les meilleures conditions.
La semaine a été marquée par un recadrage de François Bayrou, qui vous reproche de « jouer avec des allumettes » en menaçant de démissionner…
Je n’ai pas de commentaire à faire. La politique, c’est avant tout les convictions François Bayrou le sait bien et la question de l’entrisme des Frères musulmans dans notre société n’est pas une petite question politicienne.
Sur la question du voile, Élisabeth Borne est-elle dans la ligne du gouvernement ?
J’ai compris de la réunion autour du Premier ministre qu’il n’y avait qu’une ligne, celle de l’interdiction du voile dans toutes les compétitions sportives, conformément à l’avis du Conseil d’État et que tout le monde était d’accord avec cela. Je m’en réjouis. Mais au-delà de la simple question juridique, nous avons rappelé avec Bruno Retailleau qu’il s’agissait d’une question culturelle.
Ceux qui refusent l’interdiction sont-ils naïfs ?
J’ai compris que personne au gouvernement ne refusait cette interdiction, et c’est une bonne chose. Mon parcours personnel, petit-fils d’immigrés et maire d’une ville populaire, fait que je sais qu’une majorité de musulmans nous demandent de ne pas céder face à l’obscurantisme islamiste. Nous ne devons pas laisser tomber et rappeler les règles de la République : générosité mais fermeté. En aucun cas il ne faut confondre l’islam, immense religion, profondément respectable et l’islamisme qui veut la fin de notre civilisation pour lequel on ne peut avoir aucune faiblesse.
Vous dites que c’est une question culturelle. Mais est-ce qu’on ne se bat pas contre la conséquence au lieu de s’attaquer à la cause, qui est l’immigration, le nombre et donc le changement de mœurs ?
L’immigration a de nombreuses conséquences, mais je crains plus le grand effacement de la République que notre grand remplacement. Nous devons nous imposer, dicter les règles. Les prescriptions de l’islam sont très claires : on s’adapte au pays dans lequel on vit. La majorité des musulmans respectent depuis plus d’un siècle cette règle en France et cela a fait d’eux aussi de grands Français, de grands militaires, de grands serviteurs de l’État.
Il faut changer la politique du logement pour aller vers le « tous propriétaires » !
Mais porter le voile n’est pas forcément islamiste !
L’interdiction du port des signes religieux ne peut être absolue en France. Le foulard ou la kippa peuvent être portés dans l’espace public. Mais cette liberté ne peut rimer avec naïveté lorsque le port des signes religieux est revendiqué au sein de la fonction publique, dans les services publics, les compétitions sportives ou pour les mineurs, comme c’est le cas à l’école. Il faut rappeler ces règles simples, mais fermes, qui permettent aux musulmans de France de vivre dans le pays ou les libertés religieuses font partie des principes les plus fondamentaux, garantissant de vivre sa foi sans jamais l’imposer à la loi. Ce point est très important, car il garantit la paix civile. Il nous permettra aussi de reparler à des millions de citoyens qui ne doivent plus céder aux sirènes de l’extrême gauche qui n’a jamais respecté les sensibilités religieuses. Comme tous les croyants, les musulmans croient en la famille, au respect des règles. Ils devraient soutenir ou voter pour des mouvements politiques de droite, qui sont eux conservateurs et en soutien à l’économie de marché. Mais encore faut-il que nous les considérions pour ce qu’ils sont : des Français.
Votre mouvement, Populaires, travaille par ailleurs à une plateforme programmatique dans la perspective de 2027. Vous publiez vos premières propositions économiques, notamment sur le logement social, avec un changement radical d’approche…
Il faut changer la politique du logement pour aller vers le « tous propriétaires » ! La politique du logement telle que nous la menons depuis des dizaines d’années est coûteuse et incohérente. coûteuse car nous dépensons environ 40 milliards d’euros en aides au logement de toutes formes, ce qui est une somme considérable. Incohérente car plus de la majorité des Français sont désormais éligibles au logement social. Notre objectif doit être d’aider les familles modestes à s’élever et à devenir propriétaires : du HLM à la location privée, et enfin à l’achat. Ce que les sociologues appellent « le parcours résidentiel ». Aujourd’hui, tous se retrouvent bloqués dans des logements sociaux et, dans le même temps, nous n’avons jamais eu autant de compatriotes mal logés. Que fait-on ? On continue à se tromper ?
Que proposez-vous ?
Je propose de dire aux gens : « Plutôt que de payer un loyer, vous allez rembourser un prêt à taux zéro, à la Caisse des dépôts par exemple, sur quarante ou cinquante ans. Et devenir propriétaires. » Ils acquerront ainsi un pécule, qu’ils pourront transmettre, ou qui leur permettra de payer une partie de leur dépendance ou de leur retraite. J’ajoute une deuxième proposition, qui existe à l’étranger : distinguer la propriété foncière de l’immobilier. Vous possédez votre maison, mais pas le terrain. Le foncier peut être public ou géré par de grandes compagnies d’assurances ou des banques. Cela rend le logement mécaniquement plus accessible, moins coûteux. La philosophie reste la même : inventer un dispositif populaire de propriété.
Dans le même esprit, vous souhaitez développer l’actionnariat salarial défiscalisé. Tous actionnaires ?
Imaginez une France de propriétaires et d’actionnaires ! Vous n’êtes plus dans la lutte des classes dans laquelle Monsieur Mélenchon souhaite nous enfermer. Au bar du club de foot de Tourcoing, l’ouvrier pourrait dire en allant chercher son gamin : « Moi aussi, je suis patron, actionnaire, et pas simplement salarié. Je suis associé aux choix de l’entreprise. Moi aussi je suis propriétaire. » Il faut redonner la fierté aux travailleurs.
On l’imagine facilement dans les grandes entreprises. Mais dans les PME, qui constituent l’essentiel de notre tissu économique, qu’en est-il ?
On pourrait mettre en place un système autorisant des augmentations de capital constitué par de l’actionnariat salarié. Des actions bloquées sur 5 ans, 10 ans, 15 ans, 2 ans ou que l’on pourrait débloquer lorsque l’on quitte l’entreprise. On pourrait limiter ce dispositif aux CDI, et veiller que le capital salarié reste minoritaire, pour que l’entreprise ne change pas de main. L’État ne percevrait aucune fiscalité sur ces actions, ce qui permettrait de mieux rémunérer les actifs. Face aux salaires bas, il existe trois solutions : premièrement, supprimer des milliards de cotisations, mais comment finance-t-on le régime de retraite ? D’assurance maladie ? Deuxièmement, augmenter le SMIC, ce qui pèserait sur les entreprises, au risque de sacrifier notre économie… Enfin, et c’est mon idée, partager le capital. C’est la grande différence entre la droite et la gauche. Les seconds pensent que le capital, l’entreprise, est un stock que l’on divise. Les gens de droite ont tendance à penser que c’est une dynamique génératrice de richesse. Dans cette famille de droite, certains n’entendent pas le peuple et considèrent que seuls ceux qui détiennent le capital ont accès à la richesse. Je m’oppose, en gaulliste social, à cette vision : si une entreprise fonctionne bien, c’est grâce à un chef d’entreprise courageux et plein d’idées, qui s’est endetté ; grâce aux actionnaires qui ont prêté de l’argent, c’est incontestable et ils doivent en tirer du profit. Mais aussi parce qu’il y a un savoir-faire dans l’entreprise ! L’ouvrier, l’employé, le cadre ou l’ingénieur. Leur participation au capital équivaudrait à du pouvoir d’achat rendu.
Jean-Luc Mélenchon monte les Français les uns contre les autres
Vous voulez réconcilier les Français avec l’entreprise ?
Ce qu’essaie de faire Monsieur Mélenchon est très dangereux sur les questions sociétales comme sur l’économie : il monte les Français les uns contre les autres. Il est d’un côté devenu communautaire et flirte avec la question de l’antisémitisme en même temps qu’il souhaite faire renaître la lutte des classes. Je veux casser cette logique qui entretient les employés, les femmes seules, les ouvriers, dans un appauvrissement alors qu’ils travaillent. Pas de perspectives, ni pour eux ni pour leurs enfants. Il faut donc créer un système sans démagogie, qui intègre les contraintes. Lorsque l’on devient actionnaire, on comprend mieux la cohérence des décisions prises par la direction.
C’est ce que vous appelez « la droite sociale » ?
Je suis très heureux qu’il y ait de nombreux millionnaires parmi les grands dirigeants. Ils le deviennent d’ailleurs souvent en vendant leur entreprise. Alors, on peut aussi penser que l’ouvrier qui est depuis quinze ans, vingt ans, dans sa boîte, a aussi contribué à une vente avantageuse. Il serait donc normal que lui aussi se voit reverser une part de ce profit, sans que l’État, demain, ne lui prenne rien.
LFI propose pour sa part de taxer les gros patrimoines…
Que chacun contribue proportionnellement est normal. Mais taxer le patrimoine, notamment celui des entrepreneurs, c’est taxer la France et c’est taxer nos emplois. La politique économique que l’on doit mener est la même que depuis sept ans, c’est une politique de l’offre qui encourage l’entrepreneur, qui encourage l’actionnariat, qui encourage le capital. C’est comme ça qu’on baisse le chômage, pas en créant des taxes supplémentaires.
De droite sur les retraites, cela veut dire passer à la capitalisation ?
Je rappelle que les fonctionnaires bénéficient déjà de la capitalisation. Les dockers du port de Calais aussi… Ne soyons pas caricaturaux. Je pense qu’on peut se mettre d’accord sur un minimum de répartition pour tout le monde. Au-delà, il y aurait une part de capitalisation obligatoire. Puis, à partir d’un certain seuil, une capitalisation facultative. Je pense que le patronat et la CFDT devraient pouvoir se mettre d’accord sur ce système. Disons la vérité, c’est le seul moyen de sauver, paradoxalement, nos retraites, le bien des plus modestes d’entre nous. Deuxièmement, l’État français possède 80 milliards d’euros d’actions. À quoi cela sert-il ? Est-ce une question de souveraineté ? L’État ne possède pas un euro dans Dassault ! Pourtant, c’est une entreprise stratégique qui travaille en lien avec l’État. Nous pouvons très bien pratiquer le patriotisme économique sans nous prendre pour des actionnaires. L’État est un mauvais actionnaire. Vendons ces milliards d’actions pour financer un fonds d’investissement au bénéfice des Français et placer une partie des retraites en capitalisation.
La France semble obsédée par les retraites et semble se désintéresser de la politique familiale. Comment l’expliquez-vous ?
Ailleurs, on entreprend, on rêve, on imagine, même si les choix sont discutables. Nous, nous vivons une sorte de fin de vie civilisationnelle… Ce phénomène touche l’ensemble du continent européen. Après avoir dominé le monde pendant quinze siècles, elle se retrouve fragilisée par sa démographie, sa croissance. D’où l’émergence de radicalités, de partis nationalistes et extrémistes. Les Français ont besoin d’un nouveau projet. Face au vide, leur inquiétude grandit. Proposer un grand projet est le seul remède. Prenons une image : les femmes et les hommes politiques proposent aujourd’hui une musique d’ascenseur. Pas le morceau qui fera date et dont on se souviendra dans dix ou vingt ans. Personne ne se souvient de la musique d’ascenseur.

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