Le JDD. L’exécutif affirme sa volonté de « taper » au portefeuille des narcotrafiquants. Quel est le rôle de Bercy en la matière ?
Amélie de Montchalin. Bercy agit aussi bien sur le terrain du trafic de drogue que sur le terrain de l’argent de la drogue. Avec les douanes, l’Onaf et la DGFIP, nous avons des organisations capables de saisir les avoirs des criminels dès que nous avons des soupçons et de bloquer les comptes bancaires. Face à une criminalité toujours plus organisée, industrialisée et sophistiquée, nous nous adaptons à l’évolution de la menace, en gagnant en rapidité d’action. L’argent de la drogue finance les armes, finance le terrorisme, la corruption et donc les meurtres. Chaque euro que nous saisirons, c’est un euro de moins dans l’engrenage de l’industrie de la criminalité organisée.
Les avoirs des criminels saisis permettent-ils de renforcer le travail de la douane ?
Oui. Grâce à l’un de nos services, qui est chargé des confiscations et des reventes de biens appartenant à des criminels, des ventes aux enchères sont ensuite organisées pour vendre les voitures de luxe, les habits ou les bijoux appartenant aux acteurs du crime organisé. Les recettes engendrées par ces ventes finissent directement dans les caisses de l’État et permettent ensuite de financer nos efforts pour la sécurité des Français et de soutenir les victimes.
Il existe un décalage entre les saisies, les confiscations et la revente des avoirs criminels. Le garde des Sceaux a fait part de son intention d’accélérer ces procédures, notamment en confisquant des biens à un suspect avant qu’il ne soit condamné par la justice. Allez-vous adopter des mesures similaires ?
La suite après cette publicité
Nous allons encore accroître nos efforts pour saisir plus, que ce soit des biens immobiliers, des biens de luxe comme la maroquinerie, la joaillerie, ou des espèces. Si ces personnes sont innocentées, elles sont remboursées. Il faut comprendre que de nombreux acteurs du crime organisé utilisent désormais les produits de luxe comme un moyen de blanchir leur argent, et cela peut porter atteinte au rayonnement de certaines grandes marques françaises. C’est en cela que je milite pour que ces saisies soient rapides et dissuadent les criminels.
Le texte sur le narcotrafic va permettre de renforcer les compétences de la douane pour mieux les surveiller
Le travail de la douane face au narcotrafic est méconnu du grand public…
Oui, alors que les douaniers sont en première ligne et méritent tout notre respect, le soutien des dirigeants et la reconnaissance de la nation ! La douane, c’est la force de sécurité intérieure qui lutte contre la criminalité en mouvement, à l’intérieur du territoire, aux frontières, mais aussi à l’étranger. Le plus gros des saisies de drogues en France est du fait de la douane. Et maintenant, grâce à la douane, nous allons frapper les trafiquants là où ça fait le plus mal, c’est-à-dire au portefeuille. C’est en cela que le texte sur le narcotrafic examiné par les députés actuellement est porté à la fois par Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et par moi-même. Le gouvernement est uni et mobilisé pour garantir l’unité de nos forces de sécurité intérieure dans le combat face à ce fléau.
En quoi la loi sur le narcotrafic va apporter de nouvelles prérogatives aux douaniers ?
Nous allons frapper plus vite et plus fort. En matière de saisies, le gel administratif, déjà utilisé contre le terrorisme, devrait être adopté et pérennisé par nos services contre le narcotrafic. Un autre élément majeur concerne les ports, malheureusement lieux de corruption et qui servent de nœuds logistiques pour les arrivées de drogue sur notre territoire. Le texte sur le narcotrafic va permettre de renforcer les compétences de la douane pour mieux les surveiller, notamment en leur donnant les moyens d’accéder aux nombreux flux de données partagées par les acteurs privés et publics qui opèrent sur les ports, comme les arrivées et la provenance des conteneurs, les flux maritimes ou les déplacements de marchandises.
Sur la question du blanchiment, les narcotrafiquants ont de plus en plus recours aux cryptomonnaies. Êtes-vous parés face à cette nouveauté technologique ?
Nous voulons créer une présomption de blanchiment dès que l’une de nos cibles aura utilisé un mixeur de cryptomonnaies. Quand nous verrons que quelqu’un cherche à opacifier volontairement ses transactions de crypto-actifs, nous aurons la capacité d’intervenir. C’est très important car cela inverse la charge de la preuve. Ce n’est plus à l’administration de prouver qu’il s’agit de blanchiment, mais au mis en cause de prouver que les fonds ne sont pas illicites.
Les douaniers figurent parmi les fonctionnaires les plus exposés à la corruption. Comment comptez-vous protéger vos agents, victimes soit d’intimidation, soit d’approches financières séduisantes ?
C’est notre prochain grand défi. Une fois que nous aurons renforcé l’arsenal opérationnel et judiciaire face au narcotrafic, nous mettrons en place une panoplie d’outils pour protéger les agents publics des approches de ces grands réseaux criminels et des puissances étrangères. J’observe que sur le contre-espionnage, la DGSI a mis en place des outils très efficaces pour protéger ses agents, afin qu’ils se sentent protégés et accompagnés lorsqu’ils sont approchés. Peut-être pouvons-nous nous inspirer de ce modèle…
La douane constate une augmentation de 13 % des saisies d’armes à feu, dont une part importante conçue par imprimantes 3D. Comment endiguer ce fléau ?
On porte une très grande vigilance aux achats d’imprimantes 3D et de pièces détachées, avec un travail colossal fourni par le renseignement douanier (DNRED). L’impression 3D rend ces armes moins détectables, car produites avec des matériaux qui, parfois, échappent aux scanners de nos forces.
Quelle est la nature des organisations criminelles spécialisées dans l’impression d’armes en 3D ?
Je ne peux pas révéler d’éléments compromettant les enquêtes effectuées par nos agents. Mais ce que je peux vous dire, c’est qu’elles sont bien souvent liées à la drogue et au terrorisme, mais aussi au trafic de migrants, dont les passeurs sont désormais lourdement armés. Je le redis : ne soyons pas naïfs, l’argent de la drogue finance un écosystème de violence qui gangrène notre société.
Quel type d’activités par exemple ?
Des activités moins connues mais très inquiétantes. Les médicaments de contrefaçon par exemple, ou encore la contrebande de compléments alimentaires interdits à la vente en France ! Par ailleurs, les réseaux de contrebande de tabac et de trafic de drogue sont de plus en plus entremêlés, ils fonctionnent souvent avec les mêmes flux logistiques, les mêmes entrepôts… Nous observons aussi une explosion de la menace contrefaçon dans le pays. L’année dernière, 800 millions d’articles sont arrivés sur le territoire, c’est énorme. Nous subissons un raz-de-marée de « petits colis » venus de l’étranger, notamment de Chine avec des sociétés que nous connaissons tous. Ces milliers de colis contiennent pour la plupart des produits légaux, mais dans le flux se cachent des objets contrefaits, des drogues de synthèse et de nombreux produits qui sont illicites en France.
Nous avons une priorité, c’est notre souveraineté. Et cela passe par notre défense, c’est une évidence
Les récentes saisies de cocaïne sont spectaculaires. Faut-il se féliciter ou s’inquiéter de voir de telles quantités de cocaïne abonder vers notre territoire ?
Les volumes de saisies sont inédits et cela témoigne de la pertinence de nos capacités de répression. Nous tapons fort et ça marche. Aujourd’hui, les réseaux criminels se réorganisent, avec beaucoup d’agilité. Ensuite il nous faut être lucides : il y a de plus en plus de volumes de cocaïne qui circulent dans le monde, et en France en particulier, car c’est une voie de passage vers d’autres pays. Notre message est clair, nous ne la laisserons pas devenir un carrefour du crime organisé.
La France a besoin de financer son effort de défense. Certains opposent ces dépenses militaires aux dépenses sociales. Que leur répond alors la ministre des Comptes publics ?
Nous sommes un grand pays capable de financer ses priorités. Nous avons une priorité, c’est notre souveraineté. Et cela passe par notre défense, c’est une évidence. Cela ne veut pas dire que notre système social doit être abandonné, mais rappelons qu’il est déficitaire de 22 milliards d’euros ! C’est ça le plus grand risque pour lui. Il faut donc le repenser, en le rendant plus performant. En France, la défense coûte 2 % du PIB tandis que la protection sociale en coûte 32 %. Nous sommes capables de nous réarmer, comme nous l’avons entamé depuis 2017 avec le président de la République, tout en maintenant un système social moderne et ajusté afin de garantir sa pérennité.
La croissance et les rentrées fiscales n’étant pas au rendez-vous, devrons-nous adopter une loi rectificative du budget d’ici l’été ?
Notre objectif est de tenir l’engagement du Premier ministre d’avoir un déficit à 5,4 %, chiffre qui est certes élevé, mais qui est le début du désendettement de la nation que nous voulons. Avec François Bayrou et Éric Lombard, nous adoptons la méthode du « quoi qu’il arrive » pour nous préparer aux aléas. Des aléas qui concernent notamment la croissance, comme le montre ce que nous vivons aujourd’hui, avec de grandes incertitudes sur les échanges commerciaux avec les États-Unis. Il existe aussi des aléas climatiques, qui concernent notre agriculture ou nos territoires d’Outre-mer, des aléas sur les épidémies dans le secteur de la santé… Dans un monde incertain comme celui dans lequel nous vivons, la méthode du « quoi qu’il arrive » est la plus à même de protéger les Français, en nous permettant de faire des ajustements en fonction des crises que nous traversons.
Si les économies à faire sont trop importantes, il faudra passer par un rectificatif budgétaire…
Pour le moment, eu égard aux aléas et vu les mesures de prudence que nous adoptons, nous mettons des fonds en réserve et suivons des comptes de manière très rigoureuse. Si nous prenons des ajustements, nous le ferons dans la transparence, avec tous les Français.

Source : Lire Plus