Ses robes bulles avaient fait le tour du monde au milieu du siècle dernier. Impossible de passer à côté des créations de Pierre Cardin, icône des années 1950, parmi les couturiers français dits futuristes les plus en vogue, comme Paco Rabanne ou André Courrèges.
L’homme est un précoce. Né en 1922 dans une famille italienne modeste, il travaille très vite dans la couture en commençant son apprentissage dès l’âge de 14 ans chez un tailleur pour homme. Après un passage chez Jeanne Paquin, célèbre pour être l’une des premières divas de la haute couture française, il rejoint la maison Christian Dior, dont il devient le premier tailleur en 1946. Lorsqu’il décide de s’installer à son compte, son carnet de commandes ne désemplit pas, Christian Dior lui envoyant tous les clients dont il ne peut honorer les demandes.
Mais c’est véritablement en 1954 que sa notoriété éclate, à la création de ses fameuses robes bulles, vendues dans le monde entier. Une robe « de rêve », réalisée dans un tissu fluide et souple, et inspirée du film d’un de ses amis, Albert Lamorisse, Le Ballon rouge. Cette invitation à la poésie fait fureur. La patte du créateur est reconnue par-delà les frontières de la vieille Europe. Il tissera des amitiés sur tous les continents. Dans son bureau, les photographies s’accumulent aux côtés de personnalités hétéroclites comme Cocteau, Rita Hayworth, Jean-Paul II, Fidel Castro ou de son grand amour, l’actrice Jeanne Moreau.
Un système de licence lucratif
Pas étonnant, donc, que lorsque Brian Epstein, le manager des Beatles, décide de s’attaquer à leurs costumes, pour les différencier d’un groupe concurrent, les Rolling Stones, il pense au couturier français. Ce dernier inventera pour eux un costume sans col, audacieux pour l’époque. Le costume « Cylindre » est né, et il deviendra une pièce emblématique de la marque. Des créations qui lui vaudront, au long de sa carrière, les hommages les plus prestigieux comme commandeur de la Légion d’honneur, ambassadeur honoraire de l’Unesco, académicien…
850 produits en licence, et 500 usines qui font travailler 200 000 personnes
Après son premier défilé en 1951, au cours duquel un manteau rouge à l’esprit texan est présenté, Gunther Oppenheim, le gourou de la mode aux États-Unis, lui en demande 200 000 pièces. Mission impossible. Pierre Cardin lui suggère alors d’acheter une usine et de produire lui-même, tout en garantissant la qualité des pièces en lui détachant deux de ses couturiers. Ce sont les débuts des licences commerciales. « Mon oncle avait compris que cette stratégie lui permettrait d’assurer son indépendance financière et de continuer à créer, alors que la haute couture, dans les années 1960, traversait une période difficile », assure Rodrigo Basilicati Cardin, neveu du fondateur et président de la marque depuis 2020.
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À son apogée, Pierre Cardin compte 850 produits en licence, et 500 usines qui font travailler 200 000 personnes. Alors que les puristes se pincent le nez, le designer et homme d’affaires assume : il s’agit de démocratiser la haute couture, rendre le luxe accessible, partout dans le monde. Pierre Cardin est un précurseur. Si l’idée est habile, ce système risque aussi de mettre à mal l’image de la marque, acceptant des objets multiples, à la facture parfois moindre. Son neveu le confirme : « Dans les dernières années de mon oncle, il était moins impliqué dans le contrôle de sa marque, et, peu à peu, l’identité de sa griffe s’est diluée. La qualité en a souffert. »
Aujourd’hui, la maison Pierre Cardin possède 140 licences sur plus de 800 produits – qui font travailler 30 000 personnes à travers le monde – avec entre 4 et 10 % de royalties. Depuis, Rodrigo Basilicati Cardin favorise un système plus strict, parcourant le monde une fois par an pour rencontrer les licenciés. Rien que l’année dernière, il en a écarté une dizaine, remplacés par d’autres plus en phase avec l’esprit de la marque et respectant un cahier des charges précis. Le but est de reprendre le contrôle sur les produits et de veiller à ce qu’ils incarnent l’ADN de Pierre Cardin : « D’ici à 2028, nous aurons entièrement repris la main sur le design », veut croire le président.
Désormais, les nouveaux licenciés sont accompagnés pour produire des créations fidèles à l’esprit Cardin avec un enjeu majeur : réveiller la créativité de la marque et attirer de nouveaux licenciés qui partagent une vision commune. La recette économique a de quoi susciter l’intérêt… Aujourd’hui, ces licences génèrent plus d’un demi-milliard de chiffre d’affaires et leur potentiel de développement reste immense, surtout en Asie, très friande de la marque.
Au service des enjeux écologiques
Depuis qu’il a pris la succession de son oncle, Rodrigo Basilicati Cardin veut renouer avec l’esprit initial du fondateur et sa vision futuriste du monde. Avec sa formation d’ingénieur, il ne rêve que d’une chose : mettre ses compétences techniques au service des enjeux écologiques de demain. Ce n’est pas un hasard si son récent défilé, le 10 mars, a eu lieu à La Géode, cité des sciences.
Le but est de reprendre le contrôle sur les produits et de veiller à ce qu’ils incarnent l’ADN de Pierre Cardin
Le travail du laboratoire de recherche sur les mailles thermo-techniques a amené la maison à collaborer au design d’un prototype de combinaison spatiale d’entraînement avec l’astronaute Matthias Maurer, qui s’entraîne au centre des astronautes de l’Agence spatiale européenne, à Cologne, en Allemagne. Un projet lunaire, au vrai du sens terme. Pas de doute, la relève est assurée !
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