C’est à Alger que pourrait se jouer encore une fois, si ce n’est le sort de la République, celui du gouvernement Bayrou. Comme si l’Algérie redevenait plus de 60 ans après l’indépendance, et plus de 80 ans après la Seconde Guerre mondiale, l’épicentre de notre vie politique… Étrange retour du « refoulé » que cette histoire, dont la fabrique est potentiellement en passe de prendre forme sous nos yeux.
Bruno Retailleau a bien compris que c’était là, pour une grande part, que la bascule allait opérer. La relation franco-algérienne, parce qu’elle condense un face-à-face mémoriel, démographique, géopolitique et évidemment culturel, n’est pas un enjeu périphérique ; elle est bien au contraire au cœur du malaise français sur bien des aspects, notamment régaliens, avec entre autres la lancinante question des OQTF, tout autant qu’identitaires, avec le poids de l’immigration algérienne dans les flux migratoires.
« Le locataire de la place Beauvau a compris la menace d’ingérence constante agitée par l’Algérie »
Rappelons que, pour les OQTF, les ressortissants algériens concernent près de 40 % de celles délivrées sur une année et, pour ce qui relève du volume migratoire, les mêmes Algériens sont de loin les plus nombreux parmi les populations étrangères représentées en matière d’immigration dans l’Hexagone.
Le cas Boualem Sansal
À l’heure où les rapports entre Paris et Alger n’ont jamais été aussi tendus depuis 1962, ce sont les équilibres politiques fragiles du gouvernement qui risquent en effet d’en être affectés. Le ministre de l’Intérieur a saisi la densité existentielle du dossier, dont l’arrestation arbitraire de Boualem Sansal sert de révélateur et d’accélérateur, tant elle porte jusqu’à l’incandescence cette mise en tension.
À vrai dire, l’incarcération de l’écrivain franco-algérien par les hiérarques algérois, et sa condamnation à dix ans de prison dans une parodie de procès (dont on ne sait s’il ouvre une issue à une éventuelle libération ou s’il signifie un moyen de pression supplémentaire sur la France) constitue le point de départ d’une nouvelle guérilla psycho-politique. Ce combat, Alger entend le conduire en instrumentalisant plus que jamais sa propre diaspora dans l’Hexagone et en exacerbant toujours plus son narratif anti-français pour mieux masquer – notamment – ses nombreux échecs gouvernementaux.
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La controverse que l’État algérien vient de lancer sur l’immobilier français sur son territoire s’inscrit pleinement dans cette stratégie. Le locataire de la place Beauvau a non seulement compris la menace d’ingérence constante agitée par Alger et les risques que celle-ci fait peser sur la société française, mais il n’ignore en rien qu’une majorité de nos compatriotes entend tourner la page de la « mauvaise conscience » qui sert de soubassement aux relations de nos gouvernants avec leurs homologues de l’autre côté de la Méditerranée, et ce, depuis des décennies.
En réalité, ce que l’opinion dessine dans cette affaire n’est autre que la volonté de s’émanciper de tout complexe de culpabilité vis-à-vis d’un régime d’Alger qui déteste officiellement la France, mais dont les dignitaires n’ont jamais cessé de vouloir profiter des avantages.
Le compte à rebours lancé
En conditionnant le maintien des fameux accords de 1968, qui bénéficient largement aux Algériens, à la bonne volonté du pouvoir algérois de reprendre ses OQTF, François Bayrou et Bruno Retailleau ont opté pour la fermeté, mais avec l’aléa de se confronter à une fin de non-recevoir dans quelques semaines. Le compte à rebours a d’ores et déjà commencé et le ministre, dont le crédit est indexé sur une sincérité mâtinée d’austérité, ne peut se permettre un recul si jamais Alger n’acceptait pas de reprendre ses ressortissants indésirables.
« Les maîtres d’Alger n’ignorent en rien qu’ils détiennent là des cartes en leur possession pour venir fragiliser nos institutions »
Dans cette hypothèse, il faudrait dès lors trancher le nœud gordien entre ceux qui, au sein de la coalition gouvernementale, préconisent justement le renversement du rapport de force, à l’instar du ministre de l’Intérieur, et ceux qui voient dans l’accommodement permanent, sous couvert de diplomatie, le seul vecteur susceptible d’apaiser les tensions, soucieux qu’ils sont vraisemblablement de ne rien changer à la politique de culpabilité dont leurs compatriotes, majoritairement, ne veulent plus par ailleurs. Posée en ces termes, l’équation est aisée à appréhender : elle touche à un nerf sensible et suffisamment irritable pour déclencher une crise gouvernementale sur fond d’absence de majorité au Palais-Bourbon.
Lorsque Bruno Retailleau annonce que son maintien au gouvernement est de facto gagé sur la suite de la politique algérienne de l’exécutif, il objective le caractère aussi fondamental que prioritaire de cette dernière et, dans le même temps, acte in fine l’extrême précarité de l’expérience gouvernementale à laquelle il s’est entrepris de donner du sens, agir, mais dont il sait que les moyens en sont mécaniquement restreints, pour ne pas dire entravés.
Et parce qu’ils sont aussi brutaux que cyniques, les maîtres d’Alger n’ignorent en rien qu’ils détiennent là des cartes en leur possession pour venir fragiliser nos institutions et se payer ainsi le luxe d’être à l’origine d’une énième crise politique, dont ils feront leur miel tout en ne cédant en rien à leur système de provocations. Une raison supplémentaire, en quelque sorte, pour procéder à un aggiornamento radical vis-à-vis du régime algérien, comme de larges segments de l’opinion publique française l’exigent toujours plus… En deçà de cette détermination, la France serait perdante sur tous les tableaux, celui de l’efficacité, celui de la stabilité et, tout compte fait, A celui de l’honneur aussi.
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