Mardi 4 février dernier, les secours prennent en charge un mineur de 17 ans en urgence absolue. Ayoub baigne dans son sang après avoir été violemment poignardé par un autre étudiant, inscrit en BTS dans l’établissement Saint-Gabriel de Bagneux (Hauts-de-Seine). Les deux jeunes hommes se sont rencontrés quelques heures plus tôt, par pur hasard, dans le cadre d’un exercice de sécurité tempête. Réunis dans une même salle de classe pendant une dizaine de minutes, les 1ères, dont fait partie la victime, « fanfaronnent », explique Abdoulaye C. à la barre ce jeudi 20 mars. Les petits taquinent leurs aînés, leur demandent « ce qu’ils font encore à l’école passés 40 ans ». Rien de bien méchant a priori. Ils finissent même par sympathiser, déclare le suspect lors de sa garde à vue début février. Pourtant, six heures plus tard, la situation dégénère… à cause d’une « histoire de Snapchat ».
« Une histoire que vous n’aviez pas mentionnée lors de votre garde à vue », s’étonne le président. Et la première d’une longue liste de faits oubliés ou modifiés « sous le coup du stress » et de « la fatigue », justifieront le prévenu et ses amis Jordy et Mouhamadou, appelés à témoigner cet après-midi à Nanterre. D’après Abdoulaye, la victime aurait été entraînée malgré elle dans cette affaire par son ami Aziz*. Un garçon turbulent, identifié par les équipes éducatives comme tel. « Il voulait le Snapchat de la fiancée d’un de mes amis, relate l’accusé. Elle l’a repoussée. Il a dit qu’il s’en foutait et a insisté». « Ce n’est pas la version donnée par la victime et son ami », l’interrompt le président.
Une journée classique
L’exercice de sécurité s’achève, mettant fin à cette première altercation dont les vraies raisons demeurent floues. Il est 10 h. Chacun regagne sa classe – Ayoub et Aziz d’un côté, Abdoulaye et ses camarades de BTS de l’autre. La journée se poursuit. L’accusé quitte l’établissement pour déjeuner avec ses amis dans un fast-food. Durant cette pause, Abdoulaye et Jordy racontent l’« embrouille » à Mouhamadou, arrivé en retard ce matin-là. Les cours reprennent sans encombre jusqu’à 15 h 45, qui sonne la récréation… et les prémices de la rixe.
L’accusé et ses amis descendent au premier, « pour venir chercher un collègue de BTS informatique comme d’habitude » assurent-ils tous les trois à la barre. C’est à ce moment-là qu’Aziz les aurait de nouveau invectivés. « Il est plus jeune que moi donc il n’a pas à me manquer de respect », estime l’accusé. Il est interdit de rester dans les couloirs pendant la pause. Tous les élèves descendent dans la cour sous les ordres de la CPE, qui confiera aux enquêteurs n’avoir remarqué aucune tension entre eux.
« Tu fais le chaud et après tu pleures ? »
Quelques minutes plus tard, l’accusé enfonce un couteau dans l’abdomen d’Ayoub sur 10 centimètres et prend la fuite à bord d’un taxi. Il est interpellé dans le 14e arrondissement, après un passage à l’hôpital Saint-Joseph, où un médecin constate des « blessures millimétriques » sur ses mains. Un bilan « incompatible » avec la version de l’accusé, selon l’avocate de la défense. D’autant que plusieurs témoins l’auraient entendu dire à sa victime, gisant sur le goudron, « Tu fais le chaud et après tu pleures ? ». Abdoulaye, qui réfute être le propriétaire de l’arme blanche, dit l’avoir arrachée des mains d’Aziz au cours de la bagarre.
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« Je ne voulais pas faire du mal, ni le tuer, promet-il tout en s’excusant auprès de la mère de la victime, venue à sa place à l’audience. Je regrette qu’il ne soit pas venu. Il n’avait rien à voir dans cette histoire ». Comme Ayoub, lui aussi joue au football. Il est « désolé ». « Je suis quelqu’un de très calme, je vais à l’école, je fais mon sport, je ne fume pas, je ne bois pas, je ne sors pas », énumère-t-il.
« Aziz m’a mis un coup de poing. J’étais sonné. Le coup est parti ». Et c’est Ayoub, qui se trouvait derrière l’accusé, qui en a fait les frais. « J’ai tout de suite réalisé que j’avais fait une grosse bêtise ». « L’instinct », invoque Abdoulaye. La cour, pour sa part, retient la « préméditation » et le condamne à trois ans de prison, dont deux fermes. Arrivé libre, le jeune homme de 20 ans quitte la salle d’audience menotté, le visage figé, sous les cris de sa mère. « S’il vous plaît, monsieur le juge ! Que va-t-il devenir ? »
*Le prénom a été modifié.
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