
En fait de style, l’on imagine difficilement hommes politiques aussi éloignés qu’Emmanuel Macron et Donald Trump. L’un en séduction, l’autre en brutalité. L’un en raison, l’autre en émotion. L’un dans la courtoisie et la maîtrise, l’autre dans l’outrance et la grossièreté. L’un dont l’intelligence fascine (encore certains), l’autre dont la gaucherie intellectuelle indispose. On pourrait continuer. Au-delà du style, les différences de fond sont également patentes. Quand Emmanuel Macron ne croit pas aux nations, Donald Trump ne croit pas lui aux organisations internationales. Quand le premier a fait de la lutte contre le réchauffement climatique une priorité, le second assume son climatoscepticisme.
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Quand le Français se fait le chantre d’une conception idéaliste du fonctionnement de la société internationale, l’Américain est le nouveau héraut de l’école réaliste. Quand l’un cache mal son exaspération d’être à la tête d’une France qu’il juge si petite, l’autre n’a d’yeux, de cœur et d’intérêt que pour son Amérique sublimée. La liste pourrait être poursuivie. L’on serait ainsi tenté de faire droit à la grille de lecture de Geoffrey Howe et considérer qu’il n’y a décidément rien de commun entre Emmanuel Macron et Donald Trump, tant sur le fond que sur la forme. Et pourtant. À côté de ces dissemblances, que chacun et leurs partisans avec eux cultivent tant l’idée qu’ils pourraient se ressembler relèverait du scandale, il y a aussi des convergences frappantes. Qu’on en juge.
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Deux vocations politiques inattendues
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D’abord, Emmanuel Macron et Donald Trump sont des outsiders. Ils sont tous deux des anomalies dans leur système politique. C’est évident pour Donald Trump, dont personne aux États-Unis n’a pensé qu’il pourrait gagner l’élection de 2016, encore moins revenir au pouvoir avec un tel succès quatre années plus tard. C’est aussi le cas d’Emmanuel Macron. Car dans le système politique français, personne n’imaginait que l’on puisse l’emporter du premier coup à l’élection présidentielle, sans avoir jamais été élu auparavant. Ajoutons qu’il a bénéficié d’une conjonction d’astres inouïe, que lui-même et ses partisans, un peu trop fervents lecteurs de Hegel et de l’évidence du grand homme dans l’Histoire, se sont empressés d’oublier : la renonciation de François Hollande, la victoire du plus à gauche des candidats à la primaire du parti socialiste Benoît Hamon, la victoire du plus à droite des candidats à la primaire LR François Fillon, puis sa liquidation politique. Rien de tout ceci n’était écrit.
Emmanuel Macron a bénéficié d’une conjonction d’astres inouïe
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Ensuite, Donald Trump et Emmanuel Macron s’estiment supérieurs à tout le monde. La belle affaire, dirait-on : avec la chance, la mégalomanie et l’absolue confiance en soi sont souvent des conditions essentielles du succès, en politique mais également dans les affaires, en sport, et au fond dans toutes les questions qui se règlent par une compétition féroce. Sauf que dans les deux cas, il est un secret de Polichinelle qu’ils portent la confiance en eux-mêmes à un degré extravagant. Tous deux pensent que leur parole et leur volonté produisent le réel. C’est aussi cette confiance en eux, reconnaissons-leur cette qualité éminente, qui leur a permis, eux des outsiders, de s’imposer.
Concentration des pouvoirs
Une telle confiance a son revers : leur pratique des institutions. Donald Trump et Emmanuel Macron poussent à l’extrême la centralisation du pouvoir. Emmanuel Macron a concentré les pouvoirs comme aucun président de la Ve République, alors même que le régime français est celui qui donne déjà le plus de pouvoirs au président, faisant justement douter de son caractère démocratique. Ministres, Parlement, partis politiques, corps intermédiaires, hauts fonctionnaires ont été ravalés au rang d’exécutants. Donald Trump, pour son deuxième mandat, ainsi que les premières nominations – et la brutalité des limogeages – l’illustrent, entend, comme Emmanuel Macron, que rien ne lui résiste. Car, comme Emmanuel Macron, Mike Pence l’a bien souligné, le critère absolu de choix des personnes n’est pas la compétence mais la loyauté au chef.
À cet égard, ceux qui ont abondamment critiqué les choix de Donald Trump à la Cour Suprême doivent admettre que M. Ferrand n’avait, pour n’être pas trop critique sur ses capacités juridiques ou son exemplarité, au soutien de sa candidature que le fait d’avoir été l’un des premiers macronistes. La nomination à la Commission européenne de M. Séjourné s’inscrit dans la même veine. Si, comme Emmanuel Macron, Donald Trump voulait que le système politique se résumât à lui seul, une différence – fondamentale – subsiste, qui devrait se matérialiser rapidement : le système constitutionnel américain, même aux mains d’un Donald Trump, ne permet pas au président américain de disposer de pouvoirs comparables à ceux que la Ve République confère au président français hors période de cohabitation.
Un ennemi commun, responsable de leurs échecs : l’« État profond »
Dans ce contexte, Donald Trump comme Emmanuel Macron ont trouvé un ennemi commun, responsable de leurs échecs : le fameux « État profond ». C’est l’« État profond » que Donald Trump a rendu responsable des lenteurs et résultats insuffisants de son premier mandat. C’est aussi l’ « État profond » qu’Emmanuel Macron a plusieurs fois fustigé comme responsable de ses échecs. Il a d’ailleurs engagé le démantèlement de cet « État profond » par plusieurs mesures d’apparence symbolique, mais en réalité fondamentales, dont les plus emblématiques sont la suppression de l’ENA, du corps préfectoral, du corps diplomatique. Donald Trump, emboîtant le pas à Emmanuel Macron, mène une guerre sans merci aux hauts fonctionnaires américains.
Impertinences et incohérences : les ingrédients communs
Enfin, disons-le, et c’est peut-être le plus étonnant, tous deux maîtrisent étonnamment mal les concepts pour des chefs d’État de pays de l’envergure de l’Amérique et de la France. La litanie des phrases à l’emporte-pièce de Donald Trump ferait presque oublier ses prédécesseurs, et notamment George W. Bush, pour lequel l’expression « bushisms » désignait les écarts et aberrations de langage. Emmanuel Macron n’est pas en reste. Qu’il s’agisse de la culture française qui n’existe pas, du crime contre l’humanité en matière de colonisation, des propos à l’emporte-pièce sur l’arme nucléaire, d’Israël qui devrait son existence à l’Onu, l’ampleur de la liste est inédite. Ce qui n’empêche pas les partisans d’Emmanuel Macron, comme ceux de Donald Trump, d’y voir autant de fulgurances intellectuelles…
Qu’en conclure ? Finalement deux choses assez simples. La première, c’est que ceux – il en est encore quelques-uns – qui en France continuent de regarder Emmanuel Macron avec les yeux de Chimène comme la face claire de la politique, et Donald Trump comme l’incarnation de son côté obscur, devraient faire preuve d’un peu plus de discernement. La seconde c’est que ceux qui aux États-Unis soutiennent Donald Trump devraient comprendre que le type de gouvernance auquel il aspire, si contraire à l’esprit des institutions américaines, est précisément celui qui sévit en France, pays que ces mêmes Américains adorent regarder comme un contre-exemple, même s’ils sont souvent incapables de le situer sur la carte…
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