Le retour de Trump à la Maison-Blanche est un bouleversement stratégique. Longtemps opposés à la Russie tout en entretenant des liens étroits avec l’Europe, les États-Unis semblent désormais inverser leurs priorités. Ce basculement a des conséquences militaires, comme en témoigne la réunion du 11 mars, au cours de laquelle Emmanuel Macron a convié à Paris les chefs d’état-major de l’UE et de l’Otan… sans les Américains. Cet éloignement pourrait également avoir un impact sur l’usage des équipements militaires, en raison de la réglementation Itar accordant à l’Oncle Sam un droit de veto sur l’armement vendu.
Car pendant longtemps, les alliés européens de l’Otan pensaient acheter leur sécurité en faisant le choix de l’industrie outre-Atlantique. « Près de 100 000 soldats américains sont stationnés en Europe, certains au sein de l’Alliance, d’autres dans le cadre d’accords bilatéraux. Sans eux, l’Otan est très fragilisée », explique au JDNews Peer de Jong, ancien officier et vice-président de l’Institut Themiis. « Lorsqu’un pays hésite entre du matériel européen et extracommunautaire, Washington exerce des pressions et l’acheteur cède », poursuit-il.
Toutefois, le rapport de force n’explique pas tout. Entre 2020 et 2024, dans l’urgence suscitée par l’invasion russe de l’Ukraine, l’Amérique a fourni 64 % des importations d’armes des Européens, contre 52 % entre 2015 et 2019, souligne le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri) dans sa dernière étude. En focalisant leurs achats sur la défense, sans envisager que le « made in USA » puisse devenir un risque, certains pays ont négligé leur indépendance. « Le problème est que les défenseurs du tout Otan sont rarement prêts à en évaluer lucidement le prix politique. Ils tombent de très haut aujourd’hui », décrypte pour le JDNews Olivier Zajec, directeur de l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD).
Mais alors, si demain Washington décidait d’attaquer le Groenland, le Danemark pourrait-il se défendre et faire décoller ses avions de chasse F-35 de Lockheed Martin ? « Il n’y a pas de preuve du contraire », commente Xavier Tytelman, ancien de l’aéronavale. Cependant, d’un point de vue technique, l’expert alerte sur une vraie contrainte : les équipes du Pentagone peuvent limiter l’efficacité des appareils. « Le système du F-35 doit se connecter aux États-Unis tous les trente jours ». Pour cela, l’appareil fonctionne avec un système d’exploitation nécessitant un identifiant et un mot de passe. Longtemps réfutée, cette information a été confirmée en mars dernier par le ministère de la Défense belge : « Le F-35 ne peut être déployé de manière totalement autonome. Il est recommandé de ne pas prolonger cette situation au-delà de quelques semaines afin de garantir un soutien optimal. »
Un changement de cap peu probable
Concrètement, les avions pourraient voler, mais avec des capacités dégradées. « Si un pilote polonais détecte en vol un nouveau radar russe et souhaite l’intégrer à une base de données pour mieux l’identifier et le traiter, cela ne sera pas possible sans une mise à jour américaine », ajoute Tytelman, en précisant que la furtivité de l’appareil de cinquième génération pourrait, elle aussi, s’altérer. Enfin, comme ce fut le cas avec l’Ukraine lorsque Trump suspendit temporairement les livraisons d’armes à Kiev, Washington pourrait cesser de fournir les pièces détachées essentielles au bon fonctionnement des F-35.
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Ces risques inciteront-ils les Européens à revoir leur stratégie d’équipement aérien ? « En Europe, le ciel militaire est américanisé à près de 90 %. Seuls les Croates et les Grecs disposent du Rafale », constate Peer de Jong. Une source proche de Dassault se montre cependant sceptique quant à un éventuel changement de cap, malgré l’annonce par Ursula von der Leyen d’un plan de défense de 800 milliards d’euros. « Pour provoquer un tournant, il faudrait qu’un grand pays annule sa commande de F-35. Or, les contrats sont signés, les livraisons débuteront en 2027 et les besoins futurs ne se situent pas avant trente ans », explique cette source au JDNews pendant que plus de 600 F-35 sont actuellement commandés par une dizaine de pays européens.
L’Allemagne pourrait-elle devenir la grande nation exemplaire, après la déclaration de son futur chancelier, Friedrich Merz, souhaitant bénéficier du parapluie nucléaire français et son engagement récent à prendre des « mesures radicales » pour renforcer la défense de l’Europe ? « Tout semble possible dans la séquence que nous vivons, mais c’est un scénario très improbable. Le F-35 n’est pas le seul système américain dont dépendent les Allemands et les rétorsions de Washington pourraient être douloureuses », note Olivier Zajec alors que Berlin attend trente-cinq avions de Lockheed Martin.
Selon une information du JDNews, à ce jour, aucun pays européen n’est venu aux renseignements sur le chasseur français vendu à plus de 500 exemplaires dans le monde et dont la France ne cherche pas à conserver un contrôle à distance. « Certes, il existe un doute sur la volonté des États-Unis de protéger l’Europe mais les Européens déploient plus d’énergie à convaincre Trump de rester qu’à chercher une alternative comme le Rafale », regrette une source proche de Dassault.
Le constructeur français serait-il prêt à répondre à une éventuelle demande accrue ? « Évidemment. En 2020, moins d’un Rafale par mois était produit. Aujourd’hui, près de deux sortent chaque mois des usines de Mérignac. La cadence va encore augmenter pour atteindre prochainement quatre appareils mensuels », assure cette source. Face à l’imprévisibilité de Donald Trump, le ministre de la Défense portugais, Nuno Melo, vient d’annoncer, jeudi 13 mars, le report de la commande de F-35 de son pays. « La position récente des États-Unis, dans le contexte de l’Otan et au niveau géostratégique international, doit nous faire penser aux meilleures options. Plusieurs d’entre elles doivent être envisagées, à savoir dans le contexte de la production européenne. » Peut-être une opportunité pour le Rafale de décoller dans un nouveau pays.
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