
Si vous aimez la pugnacité de Jules Renard, l’exigence de Paul Léautaud et la facétie d’Alphonse Allais, cet éloge d’Erik Satie (1866-1925) est indispensable. Pour se distinguer du commun des mortels, le natif d’Honfleur, qui n’ouvrait jamais son courrier, remplaça le C de son prénom par un K, histoire de préciser qu’il était un cas particulier. Encerclé par les deuils, le jeune homme vit enfermé à double tour dans son corps qu’il ne lavait qu’avec une pierre ponce.
Publicité
La suite après cette publicité
En empathie totale, Patrick Roegiers fait revivre au quotidien le légendaire maestro, en parallèle de son parcours de compositeur. L’idéaliste, misanthrope comme on est diabétique, refusait de se parisianiser afin d’éviter de prostituer son œuvre. Sa rigueur le conduisit à se passer d’instrument quand il ne jouait pas sur des pianos désaccordés. Sans jamais se plaindre, le musicien « dans sa tête » vivait chichement, certain qu’un artiste a besoin de dénuement pour créer de manière la plus sincère. Il ne brisa la solitude que brièvement avec Suzanne Valadon. Pour gagner sa vie, il pianotait dans des bars afin d’accomplir sa besogne de « tapeur à gages ».
Toujours en costume, coiffé d’un haut-de-forme, avec un parapluie, et taquinant la bouteille, l’excentrique marginal daigna participer à des œuvres collectives, tel Parade (1917), ballet de Diaghilev, avec la participation de Picasso et de Cocteau, dont il estimait qu’il n’avait écrit que « trois lignes », pas de quoi parader. Pour la première de Relâche (1924), cosigné avec Picabia, le programme recommanda d’apporter « de quoi se boucher les oreilles ». La même année, il composa la musique du court métrage Entr’acte, de René Clair, où on l’aperçoit.
Dans la revue 391 du dadaïste, Satie écrivit, un an avant de mourir, les « Cahiers d’un mammifère » où il signalait : « Si vous voulez vivre longtemps, devenez vieux ». Amateur de canular, il porta plainte contre lui-même ! Avant-gardiste, pionnier de l’humour absurde et de la musique moderne (Philip Glass et John Cage), Satie aimait vivre en mélangeant, le présent, le passé et l’avenir. Les Gymnopédies sont là pour nous le faire entendre.
Satie, Patrick Roegiers (Grasset), 206 pages, 22 euros.
Source : Lire Plus